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Quand un mouvement d’idées, quel qu’il soit, s’empare de tous les esprits, quand il est empreint d’un caractère universel, non-seulement il serait absurde de le nier, mais il y aurait de la folie à vouloir le combattre. Comment le diriger, comment le conduire dans des voies légitimes et lui faire produire des fruits heureux ? voilà toute la question. Qu’on regrette pour l’Allemagne ce spiritualisme qui l’avait marquée d’un signe reconnaissable parmi toutes les nations modernes, je le veux bien ; mais ce regret est inutile. Il est trop tard maintenant pour regarder derrière soi. Depuis la muse souveraine jusqu’au dernier ouvrier, ces idées nouvelles, ces besoins de réforme, travaillent la nation tout entière. La muse qui régnait dans l’empyrée s’est armée de fer pour les luttes de la vie active ; l’ouvrier qui chantait le Roi de Thulé écrit des traités politiques. En même temps que Mme d’Arnim a dit adieu aux rêveries indifférentes et aux paisibles contemplations, le tailleur Weitling prêche le communisme dans des brochures pleines de verve et d’audace. Tous ces symptômes sont graves. Il est manifeste qu’une immense transformation morale s’opère aujourd’hui chez les peuples allemands. Croit-on qu’on l’étouffera par la violence ? Croit-on que pour ramener l’idéalisme des anciens jours, il suffise de supprimer les journaux, d’anéantir la Gazette du Rhin, d’inquiéter la Gazette de Leipzig ? Par là on irrite les cœurs et on les pousse au mal. Ce n’est pas la vraie politique ; ce n’est ni une politique prudente, ni une politique chrétienne. Non, vous ne parviendrez pas à détruire ce nouvel esprit en sa marche puissante, formidable ; mais il dépend de vous de le contenir en le dirigeant.

Je m’adresse surtout aux écrivains, aux penseurs, aux intelligences éminentes. C’est à l’élite de la nation d’entreprendre cette tâche. J’ai dit, en commençant, que la révolte de l’esprit nouveau avait été légitime, que l’Allemagne, réveillée par les secousses de la révolution de juillet, avait jeté les yeux sur elle-même, qu’elle avait été effrayée de son indifférence, de son idéalisme paresseux, de son insouciance des choses d’ici-bas. J’ai dit que l’esprit ancien fut attaqué surtout au sein des universités où il régnait. Il y fut attaqué deux fois par les romanciers et par les publicistes, mais deux fois sans succès. Les deux armées qui se succédèrent furent battues par leur propre faute. Elles avaient blessé le génie de l’Allemagne, au lieu de lui venir en aide, et leur déroute fut une punition trop méritée. Tout est donc à recommencer aujourd’hui. Or, je voudrais que les universités pussent se charger elles-mêmes de diriger cette transformation qui s’accomplit dans les ames. Dans un pays où la science occupe une place si haute, les uni-