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DE LA LITTÉRATURE POLITIQUE EN ALLEMAGNE.

versités pourraient être ce que furent souvent les parlemens dans l’ancienne France. Entre la résistance du pouvoir et les fureurs inconsidérées des brouillons, elles garderaient les libertés publiques, ou pour mieux dire, elles prépareraient sagement les intelligences à ces libertés qu’on invoque. Cette conduite n’aurait pas seulement pour résultat d’enlever la défense de l’Allemagne nouvelle aux folles mains qui la compromettent ; elle aurait une influence très directe et très salutaire sur l’esprit du pays. Qu’y a-t-il, en effet, de plus clair au fond de toutes ces colères politiques ? Il y a surtout le désir de transformer la science, bien plutôt que le besoin de reconstituer la société ; oui, chose singulière ! on s’est bien plus occupé de donner à la science une direction pratique, humaine, active, que de critiquer la marche du gouvernement ; on s’est bien plus occupé d’introduire le libre esprit dans les universités que de le faire triompher dans l’état. Tel est ce pays : la chose publique, en Allemagne, c’est la science ; on veut aujourd’hui une science moins idéale, une poésie moins désintéressée, une philosophie plus humaine. Eh bien ! que les universités, averties par ces symptômes si sérieux désormais, commencent elles-mêmes cette réforme, et que la science entre librement dans les voies qu’on lui signale.

Que de choses restent à faire dans cette direction nouvelle ! Je n’ai pas la prétention de tracer un programme ; il suffit de rappeler que chacune des sciences de la pensée pourrait contribuer, selon ses forces, au salut de la cause commune. Les lettres, la poésie, l’imagination, vivraient davantage dans le monde réel pour y porter le calme et la sérénité. La philosophie, sans se mettre au service des passions mauvaises, aurait un plus grand souci des choses de la terre ; elle échapperait et à l’indifférence qui a éteint son cœur et à une domesticité qui le dégraderait. Mais c’est surtout dans la jurisprudence que cette réforme serait importante et féconde ; les grands jurisconsultes qui savent si bien l’art d’être juste sous les décemvirs ou sous Justinien, et qui laissent conduire auprès d’eux des procédures dignes des temps de barbarie, surveilleraient enfin la justice de leur pays ; cette publicité des tribunaux, toujours promise, toujours refusée, on l’obtiendrait peut-être. Les idées que j’exprime ici commencent à pénétrer dans les universités ; un procès qui a épouvanté l’Allemagne a réveillé les plus insoucians. Voilà bientôt cinq ans, le 18 juin 1839, à sept heures du matin, un homme grave, respectable, un professeur de droit à l’université de Marbourg, M. Sylvestre Jordan, est arrêté chez lui et jeté en prison, comme coupable de haute trahison. Il y a