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sommation annuelle de 3 millions de livres à 600 millions, et la valeur de ses produits s’élevait, malgré la réduction continuelle des prix, de 800,000 livres sterling à 36,000,000. Aujourd’hui, le Lancashire possède les trois cinquièmes des établissemens consacrés à la filature et au tissage du coton, et plus de cent filatures existent dans la seule ville de Manchester.

Rien au monde n’est plus curieux que la topographie industrielle du comté de Lancastre. Manchester, comme une araignée diligente, est posté au centre de la toile, étendant des chemins de fer vers ces auxiliaires de la fabrique, villages autrefois, villes aujourd’hui, qui ne forment plus que des faubourgs de la grande cité. Le chemin de Leeds met à une lieue de Manchester Oldham avec ses 60,000 habitans, Bury, Rochdale et Halifax, dont chacun compte de 24,000 à 26,000 ames ; le chemin de Bolton rattache à cette ville Bolton, Preston, et Chorley, qui ont ensemble plus de cent filatures et 114,000 habitans ; sur le chemin de Sheffield, il ne faut que quelques minutes pour atteindre les établissemens de Staley-Bridge, Ashton, Dukinfield et Hyde, peuplés de plus de 80,000 personnes ; le chemin de Birmingham incorpore, pour ainsi dire, à Manchester les 50,000 habitans de Stockport, et celui de Liverpool lui rallie Wigan et Warrington. Quinze ou seize foyers d’industrie rayonnent ainsi autour de cette grande constellation.

Un commande, partie de Liverpool le matin, est discutée entre les fabricans à la bourse de Manchester vers l’heure de midi ; le soir, elle est déjà distribuée entre les manufactures des environs. En moins de huit jours, le coton filé à Manchester, à Bolton, à Oldham ou dans les environs d’Ashton, est tissé dans les ateliers de Bolton, de Staley-Bridge ou de Stockport, est teint et imprimé à Blackburn, à Chorley ou à Preston, apprêté, auné et empaqueté à Manchester. Par cette division du travail entre les villes, dans les villes entre les fabriques, et dans les fabriques entre les ouvriers, l’eau, la houille et les machines travaillent sans fin ; l’exécution va presque aussi vite que la pensée ; l’homme participe en quelque sorte à la puissance de création, et il n’à qu’à dire : « que les produits existent, » pour que les produits soient.

Manchester, qui tient à ses ordres et comme sous sa main toutes ces agglomérations industrielles, est lui-même l’agrégation la plus extraordinaire, la plus intéressante et à quelques égards la plus monstrueuse que le progrès des sociétés ait improvisée. La première impression ne prévient pas : le site manque de relief et l’horizon de clarté. À travers les brouillards qui s’exhalent de cette contrée maré-