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DU MOUVEMEMENT CATHOLIQUE.

par le rigorisme, les familles jansénistes de Saint-Séverin sont également ralliées à une même foi politique ; elles votent aux élections comme un seul homme, et toujours avec l’opposition.

L’esprit monastique, de son côté, gagne et se propage ; les ordres de la plus sévère observance, les trappistes, ont compté les fondations les plus nombreuses, et la France, en moins de vingt-cinq ans, a vu s’établir plus de monastères que le XVIIe siècle dans toute sa durée. Il va sans dire que les jésuites n’ont pas attendu, pour reprendre position, la levée du ban d’exil qui pèse sur eux ; comme toujours, ils ont dissimulé leur enseigne : ce ne sont plus même les pères de la foi, ce sont tout simplement des prêtres appliqués aux fonctions du saint ministère[1] ou des prêtres pensionnaires suivant les cours publics de Paris, qui habitent à Paris, rue des Postes, une maison ecclésiastique, sous la direction de M. Loriquet, le fameux historiographe de M. le marquis de Buonaparte, généralissime des armées de sa majesté Louis XVIII. Les jésuites, à Paris comme dans la province, tendent sans cesse à empiéter sur les attributions du clergé séculier ; ainsi, dans la maison de la rue de Postes, on célèbre chaque jour, pour accaparer les fidèles, des messes qui se succèdent sans interruption, et qui ne durent que le temps voulu par la discipline liturgique. On n’attend jamais, il en est de même pour la confession, et l’affluence des femmes est grande ; chacun des révérends pères a sa spécialité pour les diverses conditions : l’un confesse les domestiques, un autre les bourgeoises, un troisième les dames du faubourg Saint-Germain, qui sont fort assidues. Ce n’est probablement pas par le rigorisme que le couvent de la rue des Postes fait au clergé de la paroisse cette concurrence victorieuse, car, s’il fallait en croire les indiscrets, la conversion des pécheurs les plus endurcis ne demanderait jamais plus d’un jour.

Les couvens de femmes se sont multipliés dans une proportion bien plus grande encore, et, comme sous la vieille monarchie, la capitale compte plusieurs communautés de dames augustines, bénédictines, carmélites, de dames chanoinesses, de dames de l’Annonciade, de l’Assomption, de la Visitation, du Sacré-Cœur, de Sainte-Marie-de-Lorette, etc. ; en tout trente-six maisons. La plupart de ces communautés ont ouvert, comme annexes, des établissemens d’éducation ; d’autres, comme les dames de Saint-Michel, recueillent et sauvent par le travail les femmes qui, prêtes à tomber au plus triste degré de l’abaissement, ou qui déjà tombées, implorent un asile contre la misère et la faim, pour échapper au vice. Malgré les rigueurs de la clôture, on dit que le souffle un peu mondain du siècle a pénétré dans quelques-unes de ces pieuses retraites, et que les idées d’émancipation intellectuelle ont franchi les grilles des parloirs. On assure même qu’un éloquent directeur, sachant l’utile appui que les femmes peuvent prêter à la propagande religieuse, a songé, dans le couvent dont il est le fondateur, à établir l’enseignement du latin et de la théologie.

  1. Almanach du diocèse de Paris, memento du clergé pour l’année 1843, p. 102