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restent sur le pas de leur porte, ou se rassemblent par groupes jusqu’à l’heure où, le service étant terminé, les cabarets vont s’ouvrir. La religion se présente à eux sous des dehors tellement sombres et avec des traits tellement durs ; elle affecte si bien de ne parler ni aux sens, ni à l’imagination, ni au cœur, qu’il ne faut pas s’étonner si elle demeure le patrimoine, le privilège du riche, et si elle fait du reste des parias.

Le caractère aristocratique de la société y contribue encore ; on va voir comment. Si le peuple, par un beau soleil, voulait sortir le dimanche de Manchester, où irait-il ? La ville n’a pas de promenades publiques ni d’avenues, pas de jardin ni même de champ communal. La population qui chercherait à respirer un air plus pur que celui des rues serait réduite à humer la poussière des grandes routes. Tout est clos dans les environs, tout est propriété particulière. Au milieu de ces campagnes de l’Angleterre, qui ressemblent à un perpétuel bosquet, les ouvriers de Manchester sont comme les Hébreux devant la terre promise qu’on leur laissait voir, mais où on leur défendait d’entrer. L’aristocratie s’est partagé le sol et y vit au large ; mais elle semble craindre d’en abandonner une parcelle pour les délassemens de ce peuple qui sert de marchepied à sa richesse et à sa puissance. Même les cimetières et les jardins de botanique sont fermés le dimanche[1]. Que reste-t-il donc, sinon le divertissement brutal du cabaret ?

Cette manière d’employer le jour du Seigneur n’est pas nouvelle à Manchester. En 1618, Charles Ier, revenant d’Écosse et traversant le comté de Lancastre, découvrit que les ouvriers, après avoir travaillé rudement durant la semaine entière, ne prenaient le dimanche aucune récréation. Il reconnut ensuite que les habitans des autres comtés souffraient du même fanatisme, quoique non au même degré, et il publia une déclaration, remise plus tard en vigueur par Charles II, qui protestait contre la violence faite aux inclinations du peuple par les prédicateurs puritains, et qui ordonnait « qu’après le service divin les hommes et les femmes eussent la liberté de se livrer à tous les délassemens licites, tels que la danse, le saut, la voltige, le tir à l’arbalète, la plantation des arbres de mai, et même, ce que les puritains devaient considérer comme un acte d’idolâtrie, que les femmes pussent décorer l’église de fleurs et de feuillage, suivant l’usage traditionnel. »

La révolution de 1688 fit avorter cette réaction remarquable des

  1. Déposition de M. Finch, Report on drunkenness.