Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/1072

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
1068
REVUE DES DEUX MONDES.

la même cause qui assure à beaucoup d’autres une existence plus facile et l’emploi de leurs bras. Manchester, étant un grand marché pour le travail, doit être aussi un grand foyer de misère ; car si l’industrie, par son immense étendue, y présente plus de ressources, elle appelle aussi au plus haut degré la concurrence des travailleurs. Ceux-ci affluent de toutes les parties de l’Angleterre et de l’Irlande, et ils font tomber le salaire, en se le disputant, au taux qui suffit pour défrayer la subsistance des plus sobres ou des plus nécessiteux. Règle générale, quoiqu’il en coûte plus cher à Manchester que dans les petites villes des environs pour se loger et se nourrir, c’est à Manchester que l’on trouve les meilleurs ouvriers, que l’on obtient le travail le plus parfait, et qu’on le paie au plus vil prix.

Le bas prix du travail doit avoir des effets particulièrement funestes dans une contrée où la richesse fait partie de la civilisation. Écoutons là-dessus le docteur Kay. « L’introduction dans les manufactures d’une race non civilisée (c’est-à-dire pauvre) ne tend pas même à augmenter la puissance de production proportionnellement au bon marché de son travail, et peut au contraire retarder l’accroissement du fonds destiné à soudoyer ce travail. Une pareille race n’est utile que comme une masse d’organisation animale qui consomme la plus petite somme de salaires. Le bon marché tient au petit nombre de besoins qu’éprouvent ces hommes et à leurs habitudes sauvages. Lors donc qu’ils concourent à la production de la richesse, leur barbarie et la dégradation morale qui en est la conséquence doivent former un des termes de l’équation. Ils ne sont nécessaires qu’à un état commercial incompatible avec des salaires tels que les exige la civilisation. Après quelques années, ils deviennent une charge pour la société, dont ils ont déprimé les forces physiques et morales, et ils dissipent une richesse qu’ils n’ont point accumulée[1]. »

Une autre cause de cette misère est l’intempérance des travailleurs. À Manchester comme à Glasgow, l’on rencontre des familles qui dépensent en genièvre ou en whiskey plus qu’elles ne dépensent en pain. À Manchester comme à Londres et comme à Paris, les ouvriers les plus habiles ne sont pas ceux qui ont la meilleure conduite, et comme l’économie double le revenu, il arrive souvent qu’une famille qui a des habitudes d’ordre et de prévoyance vit mieux avec quinze francs par semaine que telle autre avec quarante francs. Le rapport de M. Chadwick en fournit des exemples nombreux.

  1. Moral and physical Condtion of working classes.