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MANCHESTER.

La misère réagit à son tour et devient une cause d’intempérance ; c’est dans les quartiers les plus pauvres de Manchester que l’on trouve le plus grand nombre de cabarets. Cependant rien ne fait plus de tort au bien-être des classes laborieuses que la nature essentiellement flottante d’une partie de cette population. Les ouvriers forains de Manchester ne ressemblent point aux émigrans qui fréquentent le marché parisien ; ceux-ci sont des hommes et des enfans qui partent, au retour de la belle saison, de la Lorraine ou du Limousin, pour travailler pendant six à sept mois aux constructions de la capitale, en qualité de maçons, de tailleurs de pierre, de charpentiers. Ils ont un foyer et une famille aux champs, qu’ils n’abandonnent pas sans espoir de retour. Paris n’est pour eux qu’une vaste hôtellerie, où ils viennent amasser un petit pécule. Là même, ils vivent entre eux, formant une sorte de famille provinciale, et ne se mêlant pas aux vagabonds qui pullulent dans les garnis. La pensée d’un établissement lointain les garde contre la débauche et contre la dissipation. Les émigrans qui affluent à Manchester sont des familles entières, qui vont de ville en ville, de filature en filature, chercher de l’ouvrage, et qui n’ont de domicile nulle part. Ces malheureux habitent des garnis, où plusieurs ménages sont fréquemment entassés dans une seule chambre, à raison de 3 pence par lit. Un logement étroit et infect leur revient ainsi beaucoup plus cher qu’un logement salubre ne coûte à l’ouvrier domicilié. Mangeant dans les tavernes, ils ne peuvent pas se nourrir avec économie, à moins qu’ils n’adoptent le régime irlandais des pommes de terre (potato diet), et, pour combler la mesure, leur salaire est généralement inférieur à celui qu’obtiennent les ouvriers établis et connus. Il résulte des recherches faites par la Société de statistique[1] qu’en 1836, sur 169 mille habitans de Manchester et de Salford, 12,500 vivaient dans les garnis, et plus de 700 couchaient dans des caves avec les locataires de ces infâmes taudis.

Ce n’est pas tout : les ouvriers s’y rencontrant avec les mendians, avec les voleurs et avec les prostituées, de telles habitations sont également dangereuses pour leurs mœurs et pour leur santé. « Les propriétaires de ces nids à fièvre, dit le docteur Ferriar[2], placent dans chaque chambre autant de lits qu’elle en peut contenir ; ces lits sont tellement rapprochés les uns des autres, qu’un homme ne saurait passer dans l’intervalle. Le spectacle que ces endroits présentent pendant la

  1. Report on the condition of working classes.
  2. Report on sanitary condition.