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nuit est vraiment lamentable : les lits sont remplis d’hommes, de femmes et d’enfans couchés pêle-mêle ; le plancher est couvert des haillons dégoûtans que ces gens viennent de quitter, ainsi que de leur bagage. Les exhalaisons nauséabondes et la chaleur de l’atmosphère sont intolérables pour quelqu’un qui vient du grand air. Pendant le jour, ces appartemens ne sont guère plus salubres. On y trouve généralement plusieurs personnes au lit : l’une est peut-être malade, l’autre se repose de la débauche de la nuit précédente, tandis qu’une troisième tue ainsi le temps parce qu’elle n’a pas d’occupation, ou dort le jour parce qu’elle vit de quelque œuvre de nuit. Les fenêtres restent constamment fermées, la ventilation est totalement négligée, et l’atmosphère viciée verse son poison aux nouveaux arrivans que l’habitude n’a pas rendus insensibles à ses effets. Là où les caves servent de logemens garnis, c’est l’arrière-pièce qui fait office de chambre à coucher, et cette pièce, n’ayant pas de fenêtre, ne reçoit l’air et la lumière que par la porte d’entrée. Aussi les ravages de la fièvre y sont-ils plus terribles qu’ailleurs. »

Les miasmes humains qu’exhale une foule condensée dans de pareils repaires sont des causes de fièvre et de contagion bien autrement formidables que la putréfaction des corps morts et la puanteur des rues mal pavées ou sans égouts. Le docteur Howard, qui est le praticien le plus expérimenté de Manchester, fait remarquer que les fièvres sévissent particulièrement en hiver dans cette ville, c’est-à-dire à l’époque de l’année où les garnis se peuplent outre mesure, et où le soleil ne darde pas cependant assez de chaleur pour décomposer les résidus d’une grande cité. En 1832 ; ce fut surtout dans les garnis que le choléra se fit sentir avec violence. Une seule maison perdit huit personnes sur dix-huit.

La densité de la population n’est pas aussi grande à Manchester qu’à Liverpool. La ville couvre un plus vaste espace[1], et les maisons ont généralement peu de hauteur. Les classes laborieuses affectionnent aussi beaucoup moins les logemens souterrains ; il n’y a guère plus de 20,000 personnes qui habitent des caves, soit la moitié des troglodytes que renferme Liverpool. C’est ce qui fait que la mortalité est un peu moindre et qu’elle procède d’autres causes ; la fièvre, qui amène à Liverpool 6,78/100 décès sur 100, n’en produit que 5,61/100 à Manchester.

  1. M. Duncan, qui évalue le nombre des habitans par mille carré, porte la densité de Manchester à 100,000 habitans par mille carré.