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REVUE MUSICALE.

(d’autres disent son défaut) consiste à tout donner à l’expression lyrique, au sentiment ; d’où il résulte qu’on ne saurait apprécier la musique à sa juste valeur, à moins de se résigner à suivre avec quelque attention le drame auquel cette musique se trouve indissolublement liée. J’avoue qu’au premier abord la tâche pourra paraître rude au public des Italiens, d’autant plus rude, qu’on n’ignore pas à quel point la plupart de ces drames sont dénués de sens commun et d’intérêt. Mais, dira-t-on, un pareil système entraîne la ruine du dilettantisme ; du jour où un opéra cesse d’être un assemblage de morceaux isolés qu’on applaudit à outrance, ou qu’on laisse passer sans y prendre garde, selon le caprice de la soirée, de ce jour cette distraction facile et de bon goût qui faisait tout le charme du Théâtre-Italien n’existe plus ; autant vaut alors s’en aller à l’Opéra gémir sur les infortunes de ce bon roi Sébastien, et, pendant cinq heures d’horloge, endurer ce plaisir complexe et fatigant que vous savez. D’accord ; et cependant que faire, si ce système s’accrédite de plus en plus en Italie ? Des maîtres ou du public, qui l’emportera ? Celui-ci imposera-t-il à ceux-là sa prédilection si déterminée pour la routine, son culte des sentiers battus ? ou les maîtres, à force de talent et de persévérance, n’amèneront-ils pas le public à partager leurs convictions, à se déclarer ouvertement pour une réforme, après tout bien modérée, et qui n’exclut aucune réserve à l’égard des sympathies ayant cours ? Quant à moi, j’inclinerais volontiers à cette alternative, d’autant plus que les maîtres formant les chanteurs, auront finalement toujours raison par là des préventions les plus défavorables. Qu’on y prenne garde, Ronconi, le dernier venu dans la troupe italienne, Ronconi ce grand chanteur tout imbu du style dramatique de la nouvelle école, parle déjà moins que les autres la langue de Donizetti. Maintenant supposez que l’année prochaine Moriani nous arrive, dès-lors il faudra bien s’attendre à voir ses impressions se modifier singulièrement, à changer de répertoire, en un mot à donner en plein dans ce système dont jusqu’ici les meilleures productions ont à peine trouvé grace devant nous. Sans Rubini, avec nos goûts retardataires, nous en serions encore à ignorer Bellini. Lorsque les illustres virtuoses dont nous avons vu le faisceau se désunir à la saison dernière vinrent inaugurer en France l’ère du chantre des Puritains, Rossini tenait la scène, avec quel éclat ? chacun le sait. Et cependant, quelles que fussent les résistances au camp des partisans du grand maître, la nouveauté finit par donner gain de cause au débutant, et l’homme de génie, désertant l’arène, se retira, non sans quelque amertume, dans ce panthéon des gloires devenues classiques d’où l’on ne descend plus qu’à certains jours. À une période splendide, mais accomplie, il n’est personne qui ne voie avec plaisir succéder une ère nouvelle, dût cette ère jeter moins de lustre, et bien en a pris à l’âge d’or lui-même de faire place à d’autres temps.

Le Corrado d’Altamura de M. Ricci, l’un des plus grands succès de l’Italie contemporaine, après avoir triomphé sur toutes les scènes de Milan, de Naples, de Florence, est venu presque échouer l’autre soir à Vantadour. Je dis l’autre soir, car depuis on s’est ravisé, et la glace a fini par se fondre,