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REVUE MUSICALE.

qualités que les chanteurs qui l’exécutent, Ronconi et M. de Candia, rendent irrésistibles. En effet, chacun des deux a son tour de triomphe ; l’adagio, par exemple, appartient au jeune ténor, qui le dit d’une voix ravissante de timbre et d’expression ; quant à la strette, Ronconi se charge de l’enlever, je ne me souviens pas d’avoir vu au théâtre une explosion de rage pareille à celle avec laquelle il s’écrie en terminant :

Vieni sguarciarti l’anima
Et maledicti io vò.

Un tigre blessé à mort n’aurait pas des bonds plus furieux. La cavatine de la Grisi : Vorrei poter resistere, a le tort de ne point être à sa place. Partout ailleurs ce morceau ferait merveille, car le motif en est exquis. Dans le système adopté par M. Ricci, de semblables intercalations ne sauraient s’admettre. Quand on se propose d’établir une sorte de solidarité entre le drame et la musique, de fonder entre deux élémens jusque-là contraires l’un à l’autre cette alliance intime, harmonieuse, dont l’école de Mercadante, à laquelle se rattache évidemment l’auteur de Corrado, cherche à résoudre le problème, il n’est plus permis de faire chanter des airs di bravura à une religieuse. En revanche, je n’ai que des éloges à donner au duo qui succède à cette cavatine ; la conclusion surtout en est pleine de désespoir et d’angoisses, et les deux nobles voix de la Grisi et de M. de Candia y luttent d’éclat, de passion et d’entraînement. Un trio avec chœur, d’un bon effet, et dans lequel reparaît la mélodie du dernier duo, termine la partition.

Nous avons essayé d’analyser l’œuvre de M. Ricci et d’appeler l’attention du public sérieux sur d’incontestables beautés qui se rencontrent dans cette musique, évidemment mal comprise le premier jour. Dirons-nous maintenant que l’exécution de Corrado d’Altamura est magnifique et dépasse même par instans tout ce qu’on peut attendre des virtuoses illustres de la troupe italienne. Le rôle de Delizia convenait plus que tout autre à la Grisi. Ravissante de race et de séduction dans les scènes d’amour, imposante et superbe dans le finale du second acte, elle s’y montre sous la double physionomie de son talent. Il y a de l’Elvire des Puritains et de la Norma dans la manière dont la belle cantatrice entend ce rôle, mais tout cela combiné avec cet art merveilleux qu’elle possède. Jamais M. de Candia n’avait mieux chanté, jamais cette voix si jeune et si riche, ce timbre d’or, n’avait trouvé encore de si pathétiques accens, de si chaleureuses inflexions ; quant à Ronconi, on sait ce que nous pensons de lui. — À propos de Ronconi, bien des controverses se sont élevées à son endroit au sujet du rôle de Figaro dans le Barbiere de Rossini. Plusieurs lui en ont voulu d’avoir rompu si nettement en visière avec le type consacré. Les gens qui se souviennent d’avoir vu Pellegrini, lequel n’était, à tout prendre, qu’une variété de l’espèce des Dazincourt et des Monrose, se sont choqués de la physionomie âpre, un peu brutale que Ronconi donne au malin barbier, dont il fait une sorte de majo au teint bilieux, à l’œil étincelant et, si l’occasion s’en présente, assez porté à jouer