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supplément au Mérite des Femmes. M. de La Treyche, qui est de l’école de M. l’abbé Orsini, s’est épris d’autant plus vivement de son sujet, qu’il le voit à travers le prisme du célibat clérical, et dans sa prose il a entonné un véritable épithalame. Dans les temps anté-chrétiens, les femmes ne sont à ses yeux qu’un appendice de la brute, parce qu’alors elles ressentaient encore l’âcreté de la concupiscence de leur mère Ève, dont les puissances étaient devenues actives hors de l’ordre ; mais depuis, l’amour a complètement changé de forme sans que l’harmonie des sexes fût brisée pour cela ; la loi de la chair, avec sa tendance à l’exclusif, est devenue subalterne ; la femme s’est régénérée, elle a pris dans la vie une grande étendue. Et cette étendue, pouvait-elle ne pas la prendre ? elle qui, toujours altérée d’amour, vit et expire dans l’amour (l’auteur ne dit pas si c’est l’amour terrestre ou l’amour divin), elle qui nous apprend à aimer, qui reçoit notre dernier soupir ! Et M. l’abbé ajoute : Ce dernier soupir, tous ne le rendent pas dans les bras de la femme, il est vrai, mais tous voudraient l’y rendre ! — Le sacrement de mariage est pour lui une nouvelle occasion d’élégie, moment solennel où une ame dit à une ame sa compagne : Toujours ! douce union dont l’essence réside dans les ames et ne peut résider que là ! car ceux qui prennent une femme pour traverser le désert de la vie se ravalent jusqu’à la brute, quand ils n’ont pas une flamme céleste. Passe encore pour le mariage, c’est chose grave et orthodoxe ; mais le mystère ! le mystère de l’amour est-il également du ressort de l’orthodoxie ? et n’est-ce pas s’avoisiner de Gentil Bernard que de célébrer chose aussi profane ? « Le mystère, parfum doux et subtil,… vapeur légère, attrait aussi irrésistible qu’inexplicable,… espace sans limites, vague, indéterminé… Qu’est-ce que l’amour, si ce n’est chose mystérieuse ? si vous attentez à son mystère, il s’envole[1]. » Tout cela est un peu mondain dans la forme, mais fort innocent au fond. Au point de vue de la discipline, M. de La Treyche a eu un tort cependant : au lieu de s’inspirer exclusivement de sainte Thérèse, il s’est inspiré de l’auteur de Lélia, qu’il cite, parmi ses autorités canoniques, à la page 171 de son volume, bien que Lélia ait été mise à l’index en cour de Rome ; ce qui prouve que dans l’église elle-même on est parfois mieux renseigné sur les romans que sur les publications du sacré collége.

S’il en est ainsi des hommes qui sont d’église, des célibataires par vocation, si leur prose s’allume de tant d’ardeur, que sera-ce donc des profanes ! Loin d’être un instrument de péché, les filles d’Ève sont devenues pour eux un instrument d’édification, « l’amour de la créature est souvent précurseur de l’amour divin, et la femme, qui se métamorphose, comme dans le saint-simonisme, en prêtre social, est une sorte de missionnaire attrayant et potelé qui ne fait parler toutes ses graces, les attitudes, les regards, les soupirs, la coquetterie des larmes, que pour engager l’homme dans les voies du salut ;

  1. Le Mystère de la Vierge, pag. 156.