Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/164

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
160
REVUE DES DEUX MONDES.

retraite, des partis impitoyablement condamnés pour leurs méfaits au régime édifiant du patriotisme et du libéralisme forcés, et on leur permet volontiers, comme La Rochefoucauld aux vieillards grondeurs, de donner de bons préceptes pour se consoler de ne plus pouvoir donner de mauvais exemples.

Les légitimistes, monsieur, n’ont donc pas de principes propres, quoi qu’ils disent, et ils n’ont pas de principes, parce qu’ils ne représentent dans le pays aucun intérêt actuel, aucune influence distincte et permanente. Dans nos sociétés modernes, il n’y a que trois intérêts, que trois forces qui puissent entrer dans la composition des partis : l’intérêt aristocratique, celui des classes moyennes, celui des classes populaires. Dans lequel de ces élémens le parti légitimiste est-il incarné ? L’intérêt aristocratique, c’est l’immobilisation de la puissance et la concentration de la richesse, au moyen d’une législation qui retient dans les mêmes familles la fortune et les prérogatives politiques. Tel était l’intérêt naturel et traditionnel de ceux qui composent le parti légitimiste, le parti de la noblesse française ; c’était celui qu’ils voulaient ridiculement affermir, lorsqu’en 1787, à l’assemblée des notables, convoquée cependant pour sauver une situation désespérée, la noblesse française demanda que les principaux emplois fussent tous donnés exclusivement aux gentilshommes, qu’on interdit aux roturiers l’usage des chiens, à moins qu’ils n’eussent les jarrets coupés ; que les roturiers payassent de nouveaux droits seigneuriaux aux gentilshommes possesseurs de fiefs ; que les gentilshommes fussent exempts de la contrainte par corps et de tout subside sur les denrées de leurs terres ; que le tiers-état fût obligé de porter un habit différent de celui des gentilshommes, etc. C’était l’intérêt aristocratique que la restauration, refusant de s’appuyer sur les classes moyennes, voulait reconstituer avec l’organisation de la pairie, avec le droit d’aînesse, avec le double vote ; c’est pour cet intérêt et par lui qu’elle s’est perdue. Le tiers-état a forcé les gentilshommes à porter son habit ; mais ces gentilshommes, qui s’appellent aujourd’hui légitimistes, ont perdu pied lorsque la révolution de juillet a balayé pour toujours l’édifice qu’ils s’efforçaient de reconstruire. Après juillet, les débris du parti de l’aristocratie, en présence des deux forces qui s’étaient réunies pour le vaincre, ont pris, pour réparer sa défaite, l’attitude qui est l’aveu le plus formel de leur impuissance intrinsèque. Ceux de ces hommes qui avaient conservé quelque activité d’esprit, et auxquels la liberté assurée par le nouvel ordre de choses permettait de simuler la vie par l’agitation, ont complètement renié leurs théories aristocratiques ;