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qui font partie des Stuart-Papers, prouvent que des ministres whigs de Guillaume et d’Anne, que lord Damby, le duc de Shrewsbury, le lord-trésorier Godolphin, l’amiral Russell, le duc de Marlborough même, lui, surtout, correspondirent secrètement avec les Stuarts. Le maréchal de Boufflers s’étonnait, dans une entrevue qu’il eut avec Marlborough pendant la guerre de Flandre, que le général anglais lui demandât avec intérêt des détails sur la famille exilée, et ce n’est pas sans témoigner une moindre surprise que Saint-Simon rapporte ce fait. Qu’eût-il dit s’il eût su qu’après des victoires qui devaient au moins retarder la restauration jacobite, Marlborough écrivait au souverain déchu des lettres qui exprimaient, dans les termes les plus vifs, à la fois le repentir et l’attachement ? Qu’eût-il dit s’il eût vu cette lettre au roi Jacques, aujourd’hui imprimée, où, pour prouver la sincérité de ses protestations par autre chose que des paroles, Marlborough livrait à l’ennemi le secret du projet d’une expédition anglaise sur Brest, expédition dont l’insuccès, amené peut-être par cette trahison, coûta la vie à huit cents soldats anglais ? Marlborough persévéra jusqu’au bout dans cette duplicité ; en avril 1713, il écrivait à l’électeur de Hanovre : « Je vous prie d’être persuadé que je serai toujours prêt à exposer ma vie et ma fortune pour votre service. » Au mois d’octobre de la même année, il déclarait solennellement à un agent jacobite qu’il aimerait mieux avoir les mains coupées que de faire quelque chose qui pût être préjudiciable aux intérêts du roi Jacques.

Certes monsieur, un parti qui contraignait ainsi ses adversaires bien réels au fond à observer à son égard de semblables ménagemens avait quelques raisons d’espérer ; mais ses chances de succès étaient bien mieux indiquées, et paraissaient bien plus sûres à la fin du règne d’Anne. Vous n’avez pas besoin que je vous rappelle les circonstances connues qui firent succéder, en 1710, au ministère whig et à l’influence du duc de Marlborough le ministère tory qui avait à sa tête Harley, comte d’Oxford, et Saint-John, devenu plus tard lord Bolingbroke. Ces grands noms de whigs et de tories exprimaient, à cette époque comme de nos jours, des tendances, des sympathies ou des antipathies plutôt que des principes nettement définis Ainsi, les tories, à cette époque, désiraient voir le prétendant succéder à sa sœur, par respect pour l’ancien droit héréditaire ; les deux élémens les plus considérables de leur force étaient la haute église et les gentilshommes campagnards. Les membres de la haute église regardaient presque tous le droit divin de la royauté comme un dogme religieux, et leur attachement intime pour les Stuarts était naturelle-