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blache et de Tamburini. La voix de Fornasari est une basse d’une admirable ampleur, mais à laquelle on reprochera de manquer d’éclat et de métal. C’est là un cas assez ordinaire dans la voix de basse, sur les notions de laquelle certaines voix de baryton si en faveur aujourd’hui pourraient bien avoir quelque peu faussé notre jugement. Cependant, sans exiger d’un basso tel que Fornasari les conditions de mordant et d’imprévu du chant de Ronconi ou même de Barroilhet, ne pourrait-on lui demander plus de nerf dans l’attaque, moins de mollesse et d’abandon dans la période ? Ce reproche fait, il reste beaucoup à louer chez Fornasari, dont le talent paraît devoir gagner encore avec le temps. Le chant spianato, par exemple, lui réussit à merveille, et jusqu’ici ce qu’il a trouvé de mieux dans ce genre, c’est l’adagio que M. Persiani vient d’écrire pour lui dans sa partition du Fantasma.

Cet opéra du Fantasma, auquel on n’a pas fait grand accueil, méritait cependant mieux que son sort. Entre telle partition de M. Donizetti qu’on applaudissait hier, et celle-ci qu’on dédaigne aujourd’hui, il n’y a vraiment pas la différence d’une cabalette. Je sais même plus d’une improvisation du célèbre maëstro qui aurait peine à soutenir la comparaison avec l’ouvrage de M. Persiani. D’où vient donc qu’on exalte l’un et décourage l’autre, qu’on est tout feu pour celui-ci et tout glace pour celui-là ? Serait-ce qu’au Théâtre-Italien un musicien n’arrive qu’après avoir essuyé de longs mécomptes, et que le public dédaigneux de l’endroit répond aux nouveaux venus comme l’Académie à ses candidats : Repassez ? En effet, si nous avons bonne mémoire, l’épreuve ne fut pas même épargnée à Bellini. La parfaite indifférence dont on accueillit le Pirate, lors de sa première apparition sur notre scène, était loin de faire soupçonner l’enthousiasme qu’on témoignerait aux Puritains trois ou quatre ans plus tard. Bien que nous ne pensions pas le moins du monde qu’il y ait chez l’auteur ingénieux, mais prosaïque, du Fantasma l’avenir musical d’un Bellini (entre le chantre de la Norma et M. Persiani aucune espèce de parallèle n’est possible), peut-être convenait-il d’appuyer sur cette humeur fantasque et magnifiquement dédaigneuse du dilettantisme parisien, qui, le cas échéant, finirait par décourager un homme de génie. La partition du Fantasma ne brille point par l’originalité, je l’avoue ; c’est même là une musique comme tout Italien parvenu à l’âge de trente ans en doit écrire, s’il tient quelque peu à passer pour être vraiment de son pays. Ce qui n’empêche pas qu’il se rencontre çà et là, dans la partition du Fantasma, de fort agréables choses dont M. Persiani peut bien, en dernier lieu, revendiquer le mérite, puisqu’elles appartiennent à tout le monde. Je citerai au nombre des morceaux remarquables le trio du premier acte entre la Persiani, Ronconi et Fornasari ; l’andante du duo entre la Persiani et Ronconi, au second acte, et surtout la grande scène du jugement où le solo de ténor : Ah non avessi misero ! m’a paru d’une inspiration heureuse et fort habilement traité. Il faut dire aussi que M. de Candia le chante à ravir ainsi que la délicieuse phrase qui suit :