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LA CONTREFAÇON BELGE.

et presque partout, en Europe, la loi nationale protége assez efficacement la jouissance de la propriété intellectuelle. On la voit sans cesse appelée à réprimer deux délits également odieux dont celle-ci est surtout l’objet : l’un est le plagiat, autrefois justiciable de la critique seule, aujourd’hui passé dans le domaine des tribunaux consulaires, à en juger par ces burlesques procès entre gens de lettres, où l’on voit Dandin forcé de décider qui a le premier aperçu l’idée et qui le premier l’a sentie ; l’autre, c’est la contrefaçon, dont les formes sont aussi diverses que la pensée a de moyens de se reproduire et de se multiplier. La loi, comme l’opinion, condamne énergiquement la contrefaçon. Le contrefacteur cause au créateur ou à l’usufruitier de la propriété intellectuelle, et souvent à tous les deux, un dommage positif que l’on peut apprécier en chiffres. Disons mieux, il commet un vol véritable. La protection assurée à la propriété littéraire a rendu pour ainsi dire stérile, dans le ressort de la loi nationale, le travail coupable de la contrefaçon : en d’autres termes, presque partout l’industrie créée par la publication de la pensée, la librairie, est en pleine possession de son marché intérieur ; mais aux bornes politiques de chaque pays, la protection de la loi nationale nécessairement s’arrête. À l’abri de cette barrière de convention s’élève dès-lors une industrie parasite à qui une autre loi nationale permet de tout imprimer, pourvu qu’elle respecte la propriété littéraire indigène. Cette industrie, c’est la contrefaçon étrangère, qui a ouvert ses ateliers à nos portes, qui fonctionne sans trouble dans un pays que nous avons constitué parmi les nations. Il est temps que le gouvernement accorde une attention sérieuse à cette question, qui touche si gravement à la vie de la librairie et de l’imprimerie françaises.


I. — DE LA CONTREFAÇON ÉTRANGÈRE.

Disons-le tout de suite, la contrefaçon étrangère est un mal et un délit social. Par elle, celui qui a publié un livre lu et compris dans toute l’étendue de la civilisation se voit frustré d’une partie, souvent la meilleure, du revenu le plus légitime qui soit au monde, et cela au profit d’un spéculateur que sa position en-deçà ou au-delà d’une frontière fait coupable ou innocent aux yeux de la loi. Il y a quelque chose de monstrueux, au premier aspect, dans le contraste que présente la propriété des choses matérielles comparée à celle des choses de l’esprit : l’une est un droit civil reconnu par toute la société chrétienne, entièrement distinct des droits politiques, à ce point que le même individu peut posséder des biens meubles et immeubles dans vingt pays à la fois et réclamer le bénéfice de vingt lois nationales diverses, unanimes seulement sur la sainteté de son titre, tandis qu’un poète, un historien, un philosophe, dont les travaux élèvent les ames et reculent les bornes de l’esprit humain, ne sont admis jusqu’à ce jour à recueillir le fruit de leur pensée, d’une pensée qui n’est devenue une valeur que par eux, que dans le champ étroit fermé par nos démarcations politiques. Les progrès