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LA CONTREFAÇON BELGE.

tique, que le nombre des consommateurs croît en raison du bas prix des produits, tout bon marché a sa limite déterminée par l’inflexible minimum du prix de revient, tandis que la concurrence, une fois engagée dans la voie du rabais progressif où la presse des intérêts rivaux la pousse, va même jusqu’à franchir l’impossible. La contrefaçon est bien près de dépasser cette ligne extrême, si elle ne l’a fait déjà, et pour augmenter ses embarras, à la source de ruine que nous venons d’indiquer vient s’en joindre une autre qui n’en est peut-être que la conséquence ; nous voulons parler de la vente à perte des pacotilles de retour que le commerce d’exportation n’a pu placer. Ce remède héroïque auquel les contrefacteurs, tout en le désavouant, sont bien contraints d’avoir recours pour se débarrasser du trop plein constant de leurs magasins, donne, il est vrai, une activité nouvelle à la production ; mais, en détournant momentanément les effets du mal, il ne fait qu’en prolonger la cause.

Telle est la situation véritable du marché indigène de la contrefaçon ; celle du marché extérieur, qui de sa nature n’est pas, comme le premier, abordable à tous indistinctement, n’est point aussi défavorable. Les bénéfices que ce marché lui procure encore retardent l’explosion d’une crise qui nous semble également inévitable ; car il ne faut pas oublier qu’il n’est pas plus que l’autre à l’abri du rabais continu, et que ses prix, quoique maintenus à un niveau plus élevé, subissent infailliblement, à mesure que ceux de l’intérieur descendent, une décroissance proportionnelle. Comme, dans les questions multipliées que soulève l’existence de la contrefaçon belge, c’est sur l’étendue de ses relations avec l’étranger que portent surtout les réclamations de la librairie française, nous allons essayer d’en faire bien apprécier l’exacte valeur.

Les principaux débouchés de la contrefaçon belge sont, par rang d’importance, l’Italie, et dans ce pays les villes où il se fait le plus d’affaires, Florence, Rome, Milan, Naples et Padoue ; la Russie avec la Pologne, où la censure est moins tracassière qu’en Lombardie, et où il se place un bon nombre d’ouvrages scientifiques ; l’Allemagne et la Péninsule, l’Amérique, les États-Unis en première ligne ; la Syrie, le Levant, Smyrne, Alexandrie, sans compter les expéditions à l’aventure que la contrefaçon belge ne manque pas de faire chaque fois que le commerce d’Anvers dirige des navires vers des parages nouveaux. La plupart de ces marchés, il faut l’avouer, n’existaient pas pour la librairie française à l’époque où la contrefaçon n’avait pas atteint ce grand développement dont on s’est à bon droit alarmé. C’est celle-ci qui se les est successivement créés. L’avantage énorme de ses conditions de fabrication par rapport à la librairie régulière, le bon marché de la main-d’œuvre et des matières qui entrent dans la fabrication des livres, la proximité des grandes routes de l’Allemagne[1] et surtout du port d’Anvers, qui depuis l’ouverture du chemin de fer n’est plus séparé de Bruxelles

  1. Nous donnerons ici le tableau des prix approximatifs du roulage ordinaire