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précédées du sacrifice dont nous voudrions que la France donnât l’exemple, auront beau traquer la contrefaçon étrangère des livres français de pays en pays, on n’aura pas atteint un résultat vraiment grand, tout sera encore à refaire, s’il reste un seul asile en Europe, un seul état de quatre lieues carrées où elle puisse rétablir ses ateliers et de là défier la molle surveillance des douanes, toujours disposées à se relâcher de leur zèle quand elles n’ont point à protéger des intérêts exclusivement nationaux. Que la France au contraire parvienne, par un grand exemple, à faire considérer la contrefaçon comme un délit européen, elle s’assure aussitôt le concours d’une sorte de police morale dont les moyens de répression sont bien préférables à ceux de cette police purement commerciale que les armées douanières exercent. Le rachat de la contrefaçon française opéré en France, il ne devient plus nécessaire d’épier l’occasion d’arracher à tout peuple qui aura une faveur commerciale à demander la reconnaissance de la réciprocité en matière de propriété littéraire. Les écrivains anglais, allemands, italiens, dont les droits sont lésés aujourd’hui par la contrefaçon parisienne, sauront préparer leurs gouvernemens à conclure bientôt les conventions que la France obtient si difficilement aujourd’hui, et veilleront plus tard eux-mêmes à ce qu’elles soient facilement observées.

Dans tous les cas, il est urgent que le gouvernement change de système, qu’il attaque enfin la contrefaçon de front et au cœur, dans le foyer même de ses opérations. Là seulement elle peut recevoir un coup qui lui soit sensible, quoi qu’elle imagine ensuite pour en parer les effets. Jetez le trouble dans le centre même de sa production, autrement elle aura toujours le temps d’opposer le correctif de la contrebande à la fermeture successive des marchés où elle a su créer des habitudes de consommation. C’est là le point capital.

La reconnaissance du principe, le rachat préalable de la contrefaçon française par la France, détermineront-ils la Belgique à se débarrasser elle-même de sa propre contrefaçon ? en un mot, couperont-ils court aux négociations entre les deux pays, en les rendant inutiles ? Il ne faut pas l’espérer ; la Belgique n’est ni assez riche, ni dans une position assez prospère pour se permettre de céder à un beau mouvement qui ne produirait pour elle en retour aucun résultat positif. Si peu qu’elle vaille, la contrefaçon belge vaut bien plus, eu égard surtout au peu d’étendue du pays, que ne vaut la contrefaçon parisienne, et, quand elle l’aurait sacrifiée, la Belgique y gagnerait seulement la réciprocité de protection pour ses écrivains, bénéfice tout-à-fait illusoire dans l’état actuel de sa littérature. Mais au moins, en adoptant le parti préalable que nous conseillons, la France se placerait vis-à-vis de la Belgique dans une position très avantageuse sous un rapport ; celle-ci serait forcée dès-lors de prendre à sa charge le règlement de l’indemnité qui doit accompagner l’expropriation de sa librairie. Le rachat du matériel de la contrefaçon a déjà compliqué le problème, et n’a pas permis d’arriver à une