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POÈTES MODERNES DE LA FRANCE.

tégé les fonctions de consul-général, qui lui furent bientôt confirmées par la cour de France. On était en 1753 : c’est à peu près vers cette époque que Louis de Chénier se maria avec une Grecque très séduisante, très spirituelle, et dont la beauté fut long-temps célèbre. Devenue Mme de Chénier, Mlle Santi-L’homaka (c’était, on l’a déjà remarqué, la propre sœur de la grand’mère de M. Thiers) eut en peu de temps trois fils, dont le plus jeune se nomma André. André n’avait pas deux ans encore quand, le 28 août 1764, survint un dernier enfant qui reçut le nom de Marie-Joseph : c’était le nôtre. La naissance de Marie-Joseph coïncida à peu près avec la nomination du comte de Vergennes à l’ambassade de Turquie ; l’ambassadeur rendait le consul inutile : toute la famille Chénier dut quitter Constantinople et revenir en France.

Là, trois années se passèrent dans les douceurs, d’une vie commune ; mais, en 1767, Louis de Chénier fut adjoint à la mission du comte de Brugnon en Afrique, et peu de temps après on l’envoya avec le titre de chargé d’affaires auprès de l’empereur de Maroc. Marie-Joseph, qui n’avait pas encore quatre ans, fut conduit en Languedoc chez sa tante paternelle. C’est là qu’il passa, avec son frère André, ces longs jours de bonheur dont la jeunesse a le secret, jours charmans qu’on ne retrouve guère, qu’il ne retrouva point, mais qui plus tard, dans les dures agitations de la vie, lui demeurèrent comme un souvenir de l’Éden. J’aime à me figurer qu’André pensait un peu à ces jeux fraternels, à cette douce intimité des années perdues, quand il célébrait avec tant d’ame

Les vieilles amitiés de l’enfance première.

Enlevé trop tôt à ces loisirs, à cette éducation des champs, Marie-Joseph n’avait pas dix ans quand il fut mis, encore avec André, au collége de Navarre, où étaient déjà ses deux frères aînés. Il y fit des études rapides, médiocres et très incomplètes. Le goût du travail, l’opiniâtre passion des lettres cultivées pour elles-mêmes, ne lui devaient venir que plus tard, et sa première fougue une fois éteinte. Il est vrai qu’au lieu d’être assidu à ses thèmes, Marie-Joseph s’essayait déjà à entrelacer des rimes. Plusieurs fois ses régens le surprirent et le châtièrent. Ils trouvaient ses vers détestables, et ils avaient la cruauté de le lui dire : au lieu de céder, l’amour-propre de l’écolier ne fit que s’obstiner en s’irritant. Pour faire pièce au dédain de ses pédagogues, Chénier se consola en rêvant les bravos populaires. C’était une vocation dès le collége. Ramenée sans doute par le désir