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POÈTES MODERNES DE LA FRANCE.

de prôneurs puissans et actifs, et peut-être, en 93, ils m’auraient consolé de n’avoir pu, en 91, me glisser dans la foule des députés de Paris, et siéger à l’assemblée nationale entre M. Robin Léonard et M. Thorillon. » Ces lignes, écrites dans les derniers jours de juin 1792, rappelaient amèrement à André l’échec de sa candidature.

On le voit trop, l’acrimonie s’en mêlait. La dispute tournant de plus en plus aux personnalités, André et Marie-Joseph cessèrent de se voir. M. de Chénier le père, qui aima la révolution à son début, et qui fit même partie des premiers comités de surveillance, d’où son modérantisme finit par le faire exclure, M. de Chénier conjura ses deux autres fils, Sauveur et Constantin, d’apaiser à tout prix la querelle, et de mettre un terme à ce déplorable débat ; on obtint qu’André ne répondrait pas à son frère. Ce fut Brissot qui paya double : toute la colère du publiciste retomba sur lui. Au reste, les évènemens vinrent bientôt interrompre cette guerre de journaux, ces violentes rencontres dans le champ-clos de la presse. Quelques jours encore, et la monarchie disparaissait au 10 août. Les bureaux du Journal de Paris furent envahis par l’émeute ; la feuille cessa de paraître, et les rédacteurs se dispersèrent. Le pillage sanglant des Tuileries et bientôt les massacres de septembre mirent le comble à l’indignation d’André ; c’est avec horreur qu’il assista aux fêtes théâtrales qui suivirent le renversement de la royauté ; ces bacchanales populaires lui semblaient

Dignes de l’atroce démence
Du stupide David, qu’autrefois j’ai chanté.

Ce n’était plus la calme idylle de Bion, ce n’était plus la noble élégie de Properce : ces haines rigoureuses, dont parle Molière, gonflaient la généreuse poitrine d’André. Archiloque avait son tour après Théocrite : le poète des Iambes préludait à ses colères.

Le parti d’André était vaincu ; celui de Marie-Joseph triomphait. Charles IX avait donné à Chénier une immense popularité ; son nom alors était un drapeau. Aussi, dès que la nomination double de Barrère, comme député à la convention nationale, laissa aux électeurs de Versailles la liberté d’un nouveau choix, Marie-Joseph fut spontanément désigné par eux comme représentant du département de Seine-et-Oise. Pendant que son frère prenait ainsi place à la convention parmi les juges de Louis XVI[1], André, plein de dédain pour tous

  1. En votant pour la mort, Marie-Joseph Chénier ne déguisa pas son « extrême répugnance. » (Voyez le Moniteur du 20 janvier 1793, p. 102.)