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DU MOUVEMENT CATHOLIQUE.

le monde, contre la société, quelquefois même contre la famille. Quels sont les livres scolaires ? La mythologie ad maximam Dei gloriam, Mme de Sévigné revue et émondée par M. l’abbé Allemand, directeur des études au petit séminaire de Valence, les Vies des Héros vendéens, l’Histoire de la Vendée catholique, les ouvrages de M. Loriquet, et Robinson, non pas ce Robinson que nous connaissons tous, mais un Robinson transfiguré et converti par un moine espagnol que le naufrage a jeté dans son île. Il est vrai, et c’est M. l’abbé Delor, professeur du petit séminaire, qui nous l’apprend dans son Appel aux Familles, qu’on y veille beaucoup mieux que dans les colléges sur la sensibilité des mœurs, et qu’on y défend les enfans contre la voix des sirènes. M. Delor nous apprend en outre que, quand il trouve dans un journal un article contre le parti prêtre ou la congrégation, il a grand soin de le lire à ses frères. Pour compléter le tableau du gymnase chrétien, M. Delor aurait dû dire que les professeurs de ces gymnases, qui sont aptes, lorsqu’ils ont reçu les ordres, à obtenir les grades universitaires, ont pour habitude de se faire refuser aux examens de la licence, malgré le bon vouloir des examinateurs et leur indulgence, et que les bacheliers ès-lettres sont aussi rares dans les gymnases chrétiens que les docteurs en théologie.

En vérité, le clergé, en face de pareils résultats, devrait se montrer plus modeste et surtout plus indulgent, car on aurait beau jeu contre lui en appliquant à l’enseignement ecclésiastique, qui se traîne depuis cent ans dans la routine des mêmes méthodes, un examen sévère ; et sans regarder long-temps dans les livres des séminaires, il est facile d’y trouver plus d’un texte qui prête à la critique, ne fût-ce que cette maxime qu’on enseigne dans les séminaires de Paris et du Mans, que tout homme a sur un autre homme droit de propriété, que ce droit de propriété est licite, que le commerce des noirs est licite, et qu’il ne répugne ni à la religion ni à l’équité naturelle[1]. Voilà pourtant l’enseignement officiel en contradiction flagrante avec le pape qui, par le bref du 3 décembre 1839, a énergiquement flétri la traite comme la dernière trace de la barbarie païenne, déclaré indigne du nom de chrétien celui qui ose avoir des esclaves ou même soutenir qu’il est permis d’en avoir. Les jésuites, on le conçoit, ne sont pas restés inactifs dans cet engagement général ; mais l’arrêt de proscription qui les frappe les force à rester dans l’ombre. Ils professent donc par subterfuge, tantôt en ouvrant, sous prétexte de conférences religieuses des cours publics, tantôt en obtenant du conseil royal l’autorisation d’enseigner la cosmographie, ou bien encore en fondant à l’étranger, en Suisse, à Guernesey, à Brugelette en Belgique, des pensionnats destinés à des élèves français, véritables colonies d’émigrés, où les enfans vont appendre au-delà de la frontière à aimer le pays et à respecter ses institutions sous la férule d’un jésuitisme qui n’a même plus de patrie !

Souvent ridicules par la forme, inoffensives par leur exagération même,

  1. Instructions théologiques à l’usage des séminaires, par M. Bouvier, évêque du Mans, troisième édition, revue et corrigée ; Paris, 1839, t. IV, p. 26.