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DU MOUVEMENT CATHOLIQUE.

n’avons pas. Laissons l’auteur du Curé de Valneige, M. Désiré Carrière, s’enivrer de l’encens des circulaires épiscopales, qui garantissent son œuvre comme aussi solide pour le fond que belle par la forme. Ne tirons pas d’un légitime oubli tous les volumes rimés où se prononce plus ou moins vivement la tendance néo-catholique : les Chants pour tous, de M. de Foudras, les Chants et Prières, de MM. de Maricourt et Tourneux, la Christéïde, de M. Christ-Chardon, les Poésies catholiques de M. Montgarnier. Il faudrait partout constater la même insuffisance. La poésie néo-chrétienne s’est essayée en des voies bien diverses : que n’a-t-elle pas tenté ? que n’a-t-elle pas voulu ? Nous savons ce qu’elle a produit. On l’a vue soulever le fardeau de l’épopée pour s’affaisser dans le vertige ; on l’a vue, plus modeste, aborder l’élégie intime et n’arriver qu’à de pâles réminiscences on l’a vue enfin viser aux hauteurs enflammées de l’ode et se perdre dans les puérilités du cantique. Comment expliquer tant d’avortemens ? La foi qui aborde l’art donne sur ce terrain sa vraie mesure. Maladive ou superficielle, c’est en vain qu’elle essaiera de féconder le génie poétique. Les neo-catholiques ont été bien imprudens ; ils oubliaient, en saisissant la lyre, qu’un mauvais poète peut révéler un faible croyant. À défaut d’une foi saine et puissante, quel a donc été leur mobile ? Orgueil, exploitation, caprice ? Il faut bien le dire, un peu de tout cela, et si nous en doutons encore, interrogeons les romanciers après les poètes.

Les romanciers, en se mettant comme les poètes au service d’un système, en oubliant qu’on ne parodie pas les inspirations de la foi, se préparaient un échec presque inévitable. Sans doute on peut s’effrayer avec raison des désordres du roman moderne ; mais parce qu’il s’est montré athée ou cynique, s’ensuit-il qu’on doive le faire dévot ? Fera-t-on accepter aux esprits sérieux et méditatifs les vérités religieuses par un récit et des fictions frivoles ? Les esprits même légers seront-ils convaincus par des contes ? Je suis loin de le penser. En abordant ce genre malheureux, les romanciers ultra-catholiques n’ont pas même le mérite de l’invention. Aux fades amours des héros de Mlle de Scudéry, l’évêque de Belley, Pierre Camus, opposait, dès le XVIIe siècle, les aventures allégoriques des ames qui se détachent de la terre pour courtiser Dieu. Au roman peu édifiant du XVIIIe siècle, les abbés qui n’étaient pas philosophes, c’était alors la minorité, opposaient le Comte de Valmont. L’exploitation du genre s’est bien étendue depuis. Il y a tantôt douze ans, M. Drouineau, le parrain littéraire du néo-catholicisme (car c’est lui qui a trouvé le mot), essayait dans le Manuscrit Vert et dans Résignée une révélation nouvelle. Aujourd’hui la littérature ultra-religieuse compte presque autant de romanciers que de poètes, c’est beaucoup dire, et on a peine à classer d’abord tant d’ambitions diverses.

Le premier rang par droit d’ancienneté appartient encore ici à un écrivain que nous avons rencontré déjà sous les latitudes les plus opposées. Peu content de ses excentricités philosophiques et littéraires ; M. Guiraud vise-t-il donc à une excentricité nouvelle, celle de l’ubiquité ? C’est en 1830 que l’au-