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DE LA RÉFORME DES PRISONS.

nête homme se détourne d’eux partout avec effroi, leur interdit les ressources laborieuses de l’industrie ; en même temps, rien ne leur est facile comme d’échapper, dans des vues coupables, aux regards de l’autorité. Les libérés rompent leur ban par centaines ; ils se ruent sur les grandes villes, où leur présence est bientôt signalée par une recrudescence des vols et des assassinats. Paris jouit, sur ce point, d’une notoriété vraiment sinistre : en dépit d’une garnison nombreuse et d’une police fortement organisée, les malfaiteurs s’y donnent rendez-vous de tous les coins du pays. Il n’y a pas d’endroit en France où la propriété et la vie courent de plus grands dangers ; chaque jour est marqué par quelque nouveau crime, et le récit de ces évènemens, mis en circulation par les gazettes spéciales, reproduit par les journaux de toutes les opinions, et commenté malignement par les feuilles étrangères, finit par amoindrir aux yeux du monde la valeur morale de la nation.

Les condamnés libérés forment le noyau de ces associations de malfaiteurs qui infestent la capitale. C’est là qu’ils ont des repaires toujours ouverts pour recevoir leurs pareils qui sortent de Poissy, de Melun, de Gaillon ou de Clairvaux ; c’est là qu’ils tiennent école pour les recrues que l’on fait si aisément parmi les oisifs qui battent le pavé ; c’est là que les infâmes traditions du métier se conservent et se renouvellent. Retranchez les libérés de la population, et le crime ne sera plus qu’un accident ; avec eux, il devient un art, l’art de mettre la société en coupe réglée.

Dans l’ordre de choses établi, ou pour mieux dire consolidé par la loi de 1832, les malfaiteurs bafouent impunément le pouvoir social. Mettre un terme à ce déplorable scandale était assurément le premier devoir, aussi bien que le plus pressant intérêt du législateur. Il fallait trouver au plus tôt un expédient qui nettoyât nos rues et nos places publiques des bandits qui en ont pris possession. Voilà ce que le gouvernement et la commission paraissent avoir perdu de vue ; le projet de loi qui est devant la chambre ne renferme en effet aucune disposition en faveur des condamnés libérés. Aurait-on jugé l’efficacité du système ministériel tellement infaillible et tellement durable, qu’il dispensât de donner aux institutions pénales leur complément naturel ? Suppose-t-on que la discipline de l’emprisonnement pensylvanien, que l’on veut importer en France, doive faire sur l’esprit des détenus une impression assez profonde pour les mettre désormais à l’abri d’une récidive, quelles que soient d’ailleurs les occasions qui viennent les assaillir dans l’état de liberté ? Il y a ici évidemment un défaut de pré-