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de détention et sur les condamnés qui les habitent, cette observation intelligente et attentive qui lui a révélé le mécanisme des institutions pénales de la société et du gouvernement aux États-Unis. M. de Tocqueville connaît les prisons américaines ; il n’a pas assez vu, il ne connaît pas nos prisons. Or, ici comme en toutes choses, pour améliorer avec quelque efficacité, il faut avoir sondé d’abord l’étendue et la nature du mal.

Ainsi, le projet de loi ne présente pas les résultats d’une expérience acquise ; il ne repose pas sur l’observation, il n’a rien qui soit propre à notre caractère ni notre état social. La commission, au lieu de songer à un système national, ne s’est préoccupée que des moyens d’introduire en France un système étranger. Elle a porté ses regards au-delà de l’Océan ; elle a vu en Amérique deux innovations qui se disputaient la faveur publique, le régime du travail en silence pendant le jour et de la séparation cellulaire pendant la nuit adopté à Auburn, et le régime de l’emprisonnement solitaire de jour et de nuit établi à Philadelphie. C’est entre ces deux combinaisons que la commission a fait son choix ; le travail de l’honorable M. de Tocqueville est consacré à déduire les raisons qui l’ont déterminé.

Le rapport de la commission est écrit avec un véritable talent ; mais toute l’habileté déployée par le rapporteur ne saurait racheter les vices du système auquel on s’est arrêté. Avant d’en aborder la discussion, il convient d’indiquer ici les principales dispositions du projet de loi.

La pensée qui le domine est, pour emprunter les termes de l’exposé des motifs, « de centraliser d’une manière directe, forte, précise, le service des prisons, de le soumettre à une discipline générale, à des règles uniformes, de le faire entrer plus complètement dans ce système d’unité gouvernementale qui est le principe de nos institutions, et auquel la France a dû depuis cinquante ans un si grand nombre de perfectionnemens et de progrès. » Aussi, le premier article du projet place-t-il toutes les prisons non militaires sous l’autorité immédiate du ministre de l’intérieur. Nous n’avons pas d’objection à élever contre cette disposition. L’unité de direction dans les établissemens pénitentiaires du royaume est le seul moyen de rendre les effets des peines égaux pour tous les condamnés soumis au même châtiment, et les réformes qui vont du centre aux extrémités ont plus de force pour triompher des obstacles qu’elles peuvent rencontrer. La centralisation en pareil cas est une mesure de prudence aussi bien que d’équité. Le gouvernement britannique l’a compris comme le nôtre ; mais les pou-