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le corps rampe comme un ver de terre, loin du mouvement et du soleil ; l’intelligence tourne à la rage ou à l’hébêtement. Voilà désormais un être rayé du livre de vie.

Le système pensylvanien n’a pu être imaginé que par des législateurs peu familiers avec les grands côtés de la nature humaine, et qui désespéraient de l’amendement des criminels. Les tendances matérialistes de ce régime se révèlent dans toutes ses dispositions, et les murailles en sont le véritable agent moral[1]. S’il convenait à une race au monde, c’était à coup sûr à celle qui a érigé l’égoïsme en maxime politique, qui a dit à l’individu : « Tirez-vous d’affaire par vos propres forces (help yourself) » et qui a mis pour la société le self government à l’ordre du jour. Mais n’est-ce pas un contre-sens que de le recommander à la nation qui est charitable par excellence, à celle qui a le plus directement subordonné, dans l’organisation du gouvernement, l’individu à la société ?

Le projet de loi laisse entièrement de côté la question si grave du personnel de la surveillance dans les prisons. Cependant la bonne discipline d’un pénitencier et la réforme des condamnés dépendent surtout du choix des hommes préposés à la direction. Le personnel est tout dans un établissement pénal ; la règle est secondaire. L’on ne réforme pas les hommes en écrivant des chartes disciplinaires ou des arrêtés ministériels ; il faut incarner la règle dans la personne d’un chef, la rendre vivante et agissante, pour être entendu et obéi. Le meilleur système peut avorter dans les mains d’agens incapables, tandis que le plus mauvais système, corrigé dans l’application par un administrateur habile, produit souvent d’heureux résultats. La France en fournit d’éclatans exemples. Certes rien n’est moins parfait que l’aménagement intérieur de nos maisons centrales ; rien n’est moins favorable à la discipline ni à l’amendement que ces prisons où n’existe pas même la séparation de nuit entre les détenus, et pourtant l’on ne trouverait, ni en Amérique, ni en Europe, ni sous l’empire de la règle pensylvanienne, ni sous le régime d’Auburn, des prisons de femmes comparables aux maisons centrales de Montpellier et de Fontevrault.

Nous ne connaissons la prison de Montpellier que par ses œuvres ; mais nous savons que M. Michel Chevalier, qui l’a visitée récemment, et qui est un observateur compétent, place cet établissement au-dessus

  1. « La discipline est facile. On comprend que, quand des criminels sont séparés les uns des autres par des murailles, ils ne peuvent offrir aucune résistance ni se livrer à aucun désordre » (Rapport de M. de Tocqueville, p. 32.)