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80 millions, et en y comprenant les prisons départementales, de 100 ou 110 millions. Il appartient à la chambre d’examiner si la situation du trésor et les engagemens déjà pris par l’état lui permettent de tenter cette dispendieuse aventure, en marchant à une réforme qui, fût-elle assurée, laisserait encore à résoudre le problème bien autrement grave et bien autrement urgent de la condition des libérés.

Mais admettons que la chambre des députés, considérant ce qu’il y a de barbare et d’inefficace dans l’emprisonnement solitaire, se détermine à repousser le projet de loi, aura-t-elle compromis par là cette réforme des prisons dont l’opinion publique est préoccupée, à juste titre, depuis vingt-cinq ans ? Nous sommes loin de le penser. En premier lieu, les changemens les plus essentiels s’opèrent tous les jours par voie administrative et sans l’intervention du pouvoir législatif. Des maisons de refuge, des pénitenciers agricoles, s’ouvrent dans toutes les parties de la France aux jeunes détenus, et l’œuvre de la réforme se poursuit ainsi par le côté où sont les plus grandes espérances d’amendement. Après les enfans, ceux qu’il importe le plus de dérober à la contagion des prisons, ce sont à coup sûr les prévenus et les accusés. Eh bien ! pour ceux-là aussi l’intervention de la loi devient inutile, les conseils-généraux ayant voté ou s’empressant de voter des maisons où le régime cellulaire, tempéré par diverses exceptions et borné à une durée très courte, n’aura que des avantages et n’aura point d’inconvéniens. Toutefois, il faudrait que l’administration s’engageât à ne prolonger, dans aucun cas, au-delà de cinq mois l’emprisonnement solitaire. Au-delà de ce terme, le péril commence pour la raison ou pour la vie. Sans parler des accidens que la règle pensylvanienne a déterminés parmi les condamnés politiques, nous citerons une maison d’arrêt, celle de Saint-Quentin, où un détenu s’est suicidé, et deux autres ont tenté de se suicider en quelques mois.

Quant aux prisons destinées aux condamnés à long terme, on n’a qu’à sortir de la contemplation des deux systèmes américains, dans lesquels la pensée du gouvernement tourne comme dans un cercle sans issue, pour apercevoir une solution pratique qui ne demande aucun changement à la loi. Comme les ordres monastiques au moyen âge, la règle de Philadelphie et la règle d’Auburn partagent aujourd’hui les esprits. Cependant la vie claustrale s’était modifiée jadis, en passant de l’Orient à l’Occident ; pourquoi le programme propre à la réforme des prisons ne se modifierait-il pas, en passant du monde occidental au monde oriental ? L’auteur de ces réflexions, dans un livre