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avait amélioré les mœurs de ces hommes, dont les fautes tiennent en grande partie à la force de leur constitution, qui engendre d’énergiques passions, on a pensé que les meilleurs pénitenciers seraient des ateliers de grands travaux agricoles ou de terrassemens, au lieu du système cellulaire, qui livre les coupables à un ennui mortel et à l’inutilité. »

Une dernière considération. Il se fait, depuis le commencement du siècle, une immigration permanente et qui va croissant, des campagnes vers les villes ainsi que vers les centres manufacturiers. Attirés par l’appât d’un salaire plus élevé, les fils de paysan quittent la charrue et accourent en foule dans ces ateliers de filature, de tissage ou de machines, vastes congrégations industrielles mues et pour ainsi dire animées par la vapeur. Le flot des populations urbaines montant sans cesse, il n’y a bientôt plus de place pour les ouvriers dans les manufactures, pour les habitans dans les maisons, ni pour les maisons dans les rues. Le salaire s’avilit par l’action d’une concurrence excessive, et tombe au-dessous de ce qui est nécessaire à la vie. La misère, avec le vice et le désespoir, envahit les rangs de la classe laborieuse. Les travailleurs se réfugient dans des caves, dans des masures délabrées ou dans des auges à pourceaux ; leurs pieds trempent dans la fange, et leur visage ne voit pas le soleil. Les enfans s’étiolent et rampent dans une sauvage ignorance ; enfin, les filles se prostituent.

S’il y a un devoir impérieux, à cette heure, pour les gouvernemens de l’Europe, c’est à coup sûr celui de faire refluer vers les campagnes, qui restent à moitié désertes et mal cultivées, la population ainsi que les capitaux ; que si, par une fatalité de leur situation, ils étaient hors d’état de réparer le mal, ils devraient s’étudier du moins à ne pas l’aggraver gratuitement. Voilà pourtant ce que l’on fait, lorsque, dans nos maisons centrales, on place un condamné de race rurale devant une mule-jenny, ou devant un métier à tisser. C’est un paysan que l’on métamorphose en ouvrier des manufactures ; c’est une constitution robuste que l’on condamne à l’affaiblissement ; c’est un criminel par accident que l’on prépare à devenir criminel par habitude. Au lieu de tendre à disperser les malfaiteurs à l’expiration de la peine, on leur fait un besoin de l’association. Comme si le foyer de la corruption n’était pas assez intense ni assez étendu, on y jette à plaisir de nouveaux alimens. C’est la voie dans laquelle nos établissemens pénitentiaires se trouvent engagés ; le projet de loi rendrait cette erreur irréparable, et voilà pourquoi nous en conseillons le rejet.


Léon Faucher.