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principaux employés[1] ; le seul impôt auquel elle fût soumise consistait en une taxe de vingt sous par tête de noir dont le produit était affecté à certaines dépenses communales, la compagnie se chargeant des frais d’administration et de défense. L’île Bourbon était devenue une des échelles de l’Inde ; malheureusement elle manquait de port, inconvénient fort grave depuis l’abandon de nos établissemens de Madagascar, tandis que l’île voisine en possédait deux. La fréquence des coups de vent et les ravages qu’ils causaient parmi les navires mouillés sans abri dans des rades foraines attirèrent l’attention du gouvernement sur l’île Maurice, occupée précédemment par les Hollandais. Vers 1712, quelques créoles français s’y étaient, pour ainsi dire, transplantés ; la colonie nouvelle, dont ces pionniers formaient la base, prit un développement si rapide, qu’en moins de vingt-cinq ans elle devint le siége de l’administration. L’île Bourbon, plus cultivée, rangeait dans de vastes magasins, le long de ses plages, ses produits en grains, sucre, café, que les caboteurs transportaient à bord des bâtimens à l’ancre au Port-Louis, chef-lieu de l’île de France, pour être expédiés ensuite en Europe ; elle était comme une immense ferme, comme une vaste plantation de la compagnie, dont l’intendant supérieur résidait à l’île de France : cela explique pourquoi, malgré son importance commerciale, elle ne compte guère que de gros bourgs et pas une ville remarquable.

Depuis l’époque de la rétrocession au roi (1764) jusqu’en 1792, la colonie, affranchie du monopole de la compagnie, subit une réorganisation dont le besoin se faisait vivement sentir. L’impôt par tête de noir fut augmenté de dix sous, il est vrai, mais alors aussi cessa d’exister l’impôt, bien plus onéreux, que prélevait la compagnie sur toutes les denrées, en les achetant à un taux fixé par elle, et en les payant avec des objets dont elle déterminait également la valeur. Les influences du nouveau régime furent si salutaires, que dans l’espace de vingt-deux ans la population blanche se trouva doublée. Par suite, celle des esclaves avait presque triplé ; en revanche, les affranchis, au nombre de plus de douze cents, formaient une classe distincte. Cette prospérité remarquable, dont l’administration sage et éclairée de M. Poivre, intendant-général, était la cause première, mit la co-

  1. Ce tribunal, créé par un édit du mois de mars 1711, était soumis, pour les appels, au tribunal souverain de Pondichéry, chef-lieu des établissemens de la compagnie des Indes. Nous empruntons ces détails aux Notices statistiques sur les colonies françaises, imprimées par ordre de M. le vice-amiral de Rosamel, ministre secrétaire-d’état de la marine et des colonies. 1838.