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néral Decaen, arrivé à l’île de France en septembre 1803, ce brillant état de choses se soutint encore jusqu’à ce que les croisières ennemies trop multipliées vinssent mettre un terme au double genre de commerce qui enrichissait la colonie. En juillet 1810, les Anglais débarquèrent par deux côtés sur Bourbon, au nombre de quatre mille ; une centaine de soldats européens, soutenus de deux compagnies mobiles de créoles et de 1,200 miliciens, leur opposa une vive résistance. La victoire resta à l’ennemi, qui quatre mois plus tard s’emparait aussi de l’île de France. En 1815, l’île Bourbon nous fut rendue ; les habitans, las de ces changemens de maître, adoptèrent le nouveau régime qui rendait au pays son ancien nom. Aux cent-jours, la population et les troupes refusèrent de reconnaître l’autorité impériale d’une part, et de l’autre dédaignèrent d’obéir aux Anglais qui sommaient la colonie de se mettre sous la protection fort équivoque du pavillon britannique. Le blocus fut continué, puis l’ennemi se retira trois mois après, mais non sans avoir capturé le long de la côte quelques navires désarmés.

Il s’en faut de beaucoup que l’île Bourbon, appauvrie depuis quelques années, puisse rivaliser de luxe avec l’île de France, sa voisine ; ici l’influence anglaise se fait sentir. Entre le Port-Louis, les Indes orientales et le Cap, des relations incessantes sont établies, qui donnent à la localité un mouvement, une animation qu’on ne peut s’attendre à trouver dans les petites villes de Saint-Denis et de Saint-Paul. Tout au plus même si l’on rencontre à Bourbon cette gaieté que les employés civils et militaires de Madras viennent chercher à Pondichéry, et que la Louisiane, devenue américaine, avait su conserver si long-temps. Il semblerait que les colons s’ennuient sur leur île, tant ils sont enclins à braver les périls et les fatigues d’une navigation de trois mois, à franchir une distance de près de quatre mille lieues pour venir en Europe jouir du produit de leurs récoltes ; désormais les communications multipliées et faciles attirent le planteur en France, comme elles entraînent le provincial à Paris. Aussi les rues des petites villes, celles de la capitale même, sont peu bruyantes ; à peine le soir verra-t-on quelques promeneurs assis sur le quai, les yeux tournés vers la mer souvent menaçante, respirer le frais un instant pour revenir dans l’intérieur de la famille passer l’heure des visites. Alors, à travers les arbres du jardin, derrière les feuilles si larges agitées par une brise légère comme des rideaux de verdure, on entendra le piano redire les contredanses et les galops de la saison passée ; mais la grande voix de l’Océan domine cette musique, et l’on se croirait captif sur cette