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brillant orateur. M. de Quélen hésita ; le parti qui avait fait tomber l’Avenir était tout puissant ; on intrigua pour écarter l’ancien disciple du moderne Arius sans tenir compte de ses rétractations récentes ; il fallut en quelque sorte forcer les portes de la cathédrale, et aujourd’hui même M. Lacordaire trouve encore, dans une certaine partie du clergé, une hostilité sourde, et qui se déguise mal parfois. Du reste, en se faisant moine, il s’est rendu en quelque sorte indépendant des intrigues de sacristie. Abbé de l’ordre de Saint-Dominique, il a rang d’évêque dans l’église, et, sans cette circonstance, il eût peut-être été vaincu depuis long-temps et réduit au silence par ceux même qui paraissent ses amis. Nature spontanée, généreuse, mais irréfléchie et souvent contradictoire, M. Lacordaire est en quelque sorte le Savonarole de la chaire moderne. Il fait de la science, de l’histoire, de l’algèbre théologique, du socialisme chrétien, de la politique humanitaire, exalte tour à tour la ligue ou la révolution, et proclame le peuple français une sorte de peuple de Dieu qui aura tout au moins en paradis une place réservée. Doué d’une grande force d’action oratoire et d’un regard lumineux, M. Lacordaire étonne plus qu’il ne persuade, car sa logique est ordinairement très contestable, et ses idées, souvent brillantes, manquent de suite et de puissance. Sous le froc du dominicain ou le camail du chanoine, on retrouve toujours l’ami de M. de Lamennais ; en acceptant toutes les gloires, toutes les conquêtes des temps nouveaux, M. Lacordaire cherche à ramener à Dieu les passions généreuses qui s’en sont écartées depuis cinquante ans, et il voit dans les principes révolutionnaires des effets altérés ou méconnus des principes catholiques. En un mot, M. Lacordaire est moins un théologien qu’un tribun religieux qui veut réconcilier la société civile avec l’église, par l’accord de la liberté et de l’autorité. C’est toujours le programme et la devise de l’Avenir.

M. Combalot a été quelque temps le rival de M. Lacordaire ; aujourd’hui il est complètement effacé. On ne peut lui refuser quelques-unes des qualités qui donnent la vie à la parole et la font écouter ; mais lorsqu’en traversant la décoration extérieure, on pénètre jusqu’au fond même de l’enseignement, on reconnaît vite que l’idée manque de puissance et d’initiative, qu’elle est souvent triviale, et que ce qu’il y a de plus vivant et de plus remarquable dans les sermons de M. Combalot, c’est encore une sorte d’écho plus ou moins affaibli des doctrines de l’Avenir. N’est-ce pas là un nouveau symptôme de cette confusion qui est partout dans le mouvement religieux de notre temps, que de voir des idées, des aspirations qui ont effrayé l’église, et qu’elle a proscrites, se réfugier dans la chaire des orateurs les plus applaudis ? Du reste, M. Combalot, pour faire pénitence sans doute de son ancien lamennésianisme, s’est mis à la remorque de MM. Védrine et Desgarets, et afin de donner la mesure de sa logique et de son tact, il s’est croisé contre l’Université : il a fait sa brochure. Pourquoi M. Combalot, qui s’intitule le missionnaire apostolique, n’a-t-il pas dit dans sa chaire ce qu’il a écrit dans son petit livre ? Aurait-il craint par hasard le scandale ou l’interdiction ?

M. de Ravignan, le représentant le plus distingué de l’ancienne école, a