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REVUE. — CHRONIQUE.

l’effet n’a pas été sans importance en Europe. De grands évènemens s’étaient accomplis en Espagne, en dehors de l’action de la France, mais assurément à son profit. Le cabinet était en mesure de garantir le maintien de l’œuvre de Louis XIV, et la cour de Naples, pour la première fois depuis 1830, se séparant hautement de l’Autriche, secondait les vœux du cabinet des Tuileries en consentant à retirer son éclatante protestation contre la violation de la loi salique. En Grèce, une révolution fort imprévue avait rétabli un accord momentané entre la France et l’Angleterre : un nouvel état constitutionnel venait augmenter la liste des gouvernemens libres, alliés naturels de la monarchie de 1830 ; l’Orient continuait à dormir de ce sommeil agité qui précède les grandes crises, et la France avait obtenu des réparations rigoureusement suffisantes pour les insultes adressées à son pavillon par un fanatisme plus imbécile encore que sauvage.

Si le cabinet n’était en mesure de se prévaloir d’aucun acte éclatant consommé dans l’intervalle de la session, il n’avait non plus à répondre d’aucune faute, et la Providence le mettait dans le cas de recueillir le fruit des heureux évènemens survenus au-delà des Pyrénées. Elle avait voulu que la France, en quelque sorte en dépit d’elle-même, retrouvât en Espagne une influence indispensable au salut de ce malheureux pays.

C’était là une bonne situation, et l’opposition n’avait aucune chance raisonnable d’en enlever le bénéfice au ministère. Celui-ci l’aurait recueillie d’une manière beaucoup plus entière, s’il ne l’avait compromise par le ton quelque peu emphatique du discours du trône. La chambre aurait reconnu sans difficulté le bon accord actuel entre la France et l’Angleterre, elle n’aurait pas hésité à en féliciter la couronne dans l’intérêt de la paix du monde. Mais passer de là à une déclaration d’entente cordiale et d’association intime, revenir aux termes et aux souvenirs de l’époque antérieure à 1840, rédiger le paragraphe de manière à laisser croire que cette manifestation n’était pas circonscrite à certains faits déterminés, qu’elle était la formule même de la politique française, c’était se créer des embarras faciles à éviter, c’était s’exposer à s’affaiblir dans le pays en espérant se fortifier en Europe.

L’acte précipité de décembre 1841 avait eu de cruelles conséquences pour le cabinet. Il avait failli provoquer une crise entre l’Angleterre et la France, bien loin de rapprocher les deux peuples : n’était-il pas à appréhender que des déclarations intempestives et des expressions trop bienveillantes ne vinssent encore augmenter les embarras, au lieu de les faire disparaître ?

L’opposition s’est emparée de ce thème ; elle l’a développé avec habileté, et souvent avec succès. En parlant à la chambre une langue que celle-ci écoutera toujours avec une vive sympathie, celle d’une politique, non pas hostile à l’Angleterre, mais indépendante de l’influence britannique, M. Billault a fait preuve de facultés de tribune qui le placent désormais au nombre des hommes qui comptent par eux-mêmes, et non plus comme appoints