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l’organisation sociale et militaire du gouvernement anglo-indien, remet sous les yeux du lecteur les invasions des Afghans et des Mogols, en comparant l’état de l’Inde à ces diverses époques avec l’état actuel des mêmes contrées. Entre autres questions, il pose celle-ci : l’Angleterre a-t-elle bien mérité des peuples de l’Asie, sous le point de vue d’amélioration morale ? quels progrès a-t-elle fait faire aux lumières, comment a-t-elle répandu le christianisme au milieu des musulmans et des païens ? La compagnie n’a-t-elle plus d’ennemis à redouter dans le sein même de ses possessions ? Au milieu des embarras sans nom qu’elle se crée chaque jour, sa position devient plus en plus difficile ; il s’est rencontré des guerres coûteuses, celle contre les Birmans, la fatale campagne de l’Afghanistan, l’expédition du Scinde, hautement blâmée, qui fait craindre déjà que la puissance britannique ne marche à pas précipités vers une époque de décadence dès long-temps pressentie. Dans le cas d’un revers qui l’obligeât à chercher dans une alliance étrangère un appui contre les menaces des peuples asiatiques, vers qui l’Angleterre se tournerait-elle ? J’ai voulu, dit M. de Warren dans sa conclusion, en lui dévoilant la vérité sur toutes les questions de l’Inde, en ne lui offrant que la vérité mais toute la vérité, lui ouvrir les yeux sur l’étendue du danger qu’elle a bravé, qu’elle brave encore, dissiper le nuage que l’encens national élève sans cesse autour d’elle, et qui l’a si récemment égarée jusqu’aux bords de l’abîme. Je voudrais la forcer, en l’effrayant, à se jeter dans les bras de la France et enchaîner désormais leurs destinées ! » Soit ; mais la France n’oubliera pas, en lisant certains passages de l’Inde anglaise en 1843, quel est le caractère du peuple qu’un intérêt puissant contraindrait à réclamer un jour le secours de son amitié.

Pour les hommes réfléchis, pour ceux qui interrogent les causes, cette dernière partie de l’ouvrage de M. de Warren sera pleine d’intérêt. Ses conjectures, d’ailleurs, sont basées sur les chiffres d’une statistique exacte. En examinant nous-même avec attention ce travail sur l’Inde anglaise actuelle, voici ce qui nous a frappé. D’abord on oublie trop que la puissance britannique est née d’hier en Asie ; comme elle a jeté ses plus profondes racines dans un temps où la France, en proie aux convulsions révolutionnaires, ne voyait pas si loin, nous avons été tout surpris, après la tourmente, de trouver l’édifice debout, d’autant plus qu’il avait été construit à nos dépens. Considérant dès-lors l’établissement des Anglais dans l’Inde comme un fait accompli, les autres nations, et la France avec elle, se sont prises à regarder avec éblouissement ces lointaines conquêtes, dont le bruit leur arrivait à peine après