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sion avais-je laissé beaucoup à faire. Mes cahiers m’offraient bien des notes incomplètes, mes cartons bien des croquis inachevés, espèces de points de rappel recueillis à la hâte, et dont plusieurs m’annonçaient quelque mystère à éclaircir, quelque vérité à reconnaître. Je résolus de combler ces lacunes : restait à déterminer le lieu de ma future station. Grace au magnifique atlas de l’hydrographie française, je pus explorer sur le papier toute cette ceinture de récifs qui semble jetée autour de la vieille Armorique comme pour la défendre à la fois de la fureur des flots et de l’attaque des vaisseaux ennemis. Au milieu de ces mille petits îlots si minutieusement représentés par les habiles ingénieurs dont M. Beautemps-Beaupré a dirigé les travaux pendant cinquante ans, le petit archipel de Bréhat, au nord-ouest de Saint-Brieuc, attira mon attention par les rapports qu’il offrait avec celui de Chausey. Cette ressemblance me parut de bon augure, et sans plus hésiter je partis pour le département des Côtes du Nord.

De Paris à Saint-Brieuc, mon voyage n’eut rien que de très ordinaire. Arrivé dans cette ville, il fallut quitter la diligence et me mettre en quête d’un véhicule qui put me transporter avec armes et bagages jusqu’à Paimpol, petit port de mer d’où je comptais gagner l’île de Bréhat. Ce ne fut pas sans quelque peine que je découvris une sorte de patache passablement délabrée que semblait pouvoir à peine traîner à vide un maigre cheval blanc de la plus petite taille. Craignant de rester à mi-chemin, j’hésitais à me confier à cet équipage. Cependant le propriétaire me jurait ses grands dieux que je serais mené train de poste : faute de mieux, je dus me résigner à le croire, et fus bien agréablement surpris en reconnaissant qu’il avait dit vrai. Mon petit cheval était de véritable race bretonne et en conséquence descendait en droite ligne de ces anciens chevaux gaulois que dès avant les conquêtes de César les Romains connaissaient et estimaient autant que les célèbres coursiers de l’île de Crète. Au premier coup de fouet, il partit au grand trot ; au second, il prit le galop. Mon cocher, alerte et bavard comme un majoral espagnol, entretint cette ardeur par une multitude d’encouragemens moitié français, moitié bas-bretons, assaisonnés de nombreux coups de fouet. Aussi ne quittâmes-nous notre allure rapide que pour monter ou descendre les côtes raides qu’on trouve à chaque pas, et nous franchîmes les douze lieues qui séparent Saint-Brieuc de Paimpol presqu’aussi promptement qu’eussent pu le faire les messageries royales.

Au sortir de Saint-Brieuc, la route s’enfonce dans une gorge étroite et profonde. La nature schisteuse des montagnes qui l’enserrent se