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SOUVENIRS D’UN NATURALISTE.

du type breton. En revanche, on y voit beaucoup de figures à l’ovale allongé et purement dessiné, qu’accompagnent de grands yeux noirs et expressifs, de belles chevelures noires ou châtaines. Ces traits semblent trahir une souche méridionale. Il ne serait pas surprenant que les Basques, ces hardis navigateurs du moyen-âge, eussent laissé des traces de leur passage sur les côtes de Bretagne, où les appelait tous les ans la pêche de la morue, du maquereau et de la baleine, et que la race bréhataine fût le résultat de la fusion des sangs vascon et armoricain.

Du reste, les observations précédentes n’ont guère porté que sur les femmes. À Bréhat, tout homme naît marin, et, dès qu’il peut s’embarquer comme mousse, il part. Plus tard, il revient dans son île natale pour épouser une compatriote, sans que le mariage l’attache davantage à la terre. Il ne se fixe que lorsque le poids des années le force à renoncer aux fatigues de la vie de matelot. Aussi la population indigène de l’île se compose-t-elle presque uniquement de femmes, d’enfans, de vieillards, et ces derniers sont tous des marins retraités. En 1832, on comptait à Bréhat un contre-amiral, six capitaines et plusieurs lieutenans de vaisseau. À cette époque, le choléra vint frapper presque toute cette génération de vieux soldats qu’avaient épargnés les longues guerres de la république et de l’empire. Aujourd’hui, il ne reste plus que quelques lieutenans et un seul capitaine de vaisseau, petit-fils du brave Cornic, de cet officier bleu également célèbre par son courage et par les persécutions que son mérite lui attira de la part des gentilshommes de l’escadre rouge.

L’émigration de la population mâle laisse à la charge des femmes, indépendamment des soins du ménage, tous les travaux de la campagne. Aussi à l’exploitation des terres joignent-elles le soin de se procurer les combustibles nécessaires pour braver les intempéries des saisons et préparer les alimens. Or, sur une terre ainsi occupée, on n’a ni l’espace ni le temps pour laisser croître des arbres dont le revenu se ferait attendre des années entières. À Bréhat, on ne voit que des arbres à fruits. Le bois de chauffage vient en entier du continent, et comme son prix est fort élevé, il est réservé pour le salon des gens riches. À la cuisine et dans la maison du paysan, on brûle les ajoncs, les fougères recueillis sur les points les moins fertiles de l’île. On y ajoute les fucus arrachés au rivage, des bandes de gazon enlevées et séchées avec leurs racines. Malheureusement, l’un et l’autre ont l’inconvénient de donner beaucoup de fumée et une odeur très désagréable : aussi leur préfère-t-on généralement le bois d’herbes. Ces