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SOUVENIRS D’UN NATURALISTE.

c’est parce que je suis allé, comme lui, sur le bord de la mer, étudier avec persévérance les animaux inférieurs.

En effet, les types sont d’autant plus fixes qu’ils sont plus parfaits. Chez les animaux qui s’y rattachent, la machine organique est très compliquée, et, pour obtenir un grand nombre de dérivés, la nature semble ne pas avoir besoin de porter atteinte aux caractères essentiels. Dans les vertébrés, par exemple, dont le type primordial donne naissance aux quatre classes des mammifères, des oiseaux, des reptiles et des poissons, le plan général ne subit que des modifications assez secondaires. Les formes extérieures changent pour faciliter tel ou tel mode de locomotion ; le poumon se métamorphose en branchie pour permettre la respiration dans l’eau, et pourtant depuis le singe, le plus voisin de l’homme par son organisation, jusqu’au dernier des poissons, on retrouve presque les mêmes fonctions remplies par un nombre à peu près égal d’organes disposés d’une manière analogue, sinon identique. Celui dont les études s’adressent d’ordinaire aux animaux supérieurs ne saura jamais jusqu’où peut s’étendre la dégradation organique, et lorsqu’il se permettra quelques excursions dans les régions inférieures, il sera naturellement conduit à rejeter, comme ne lui appartenant pas, la plupart des derniers dérivés d’un type primitif. Ce fait nous explique comment Cuvier, malgré tout son génie, a si complètement méconnu certains rapports, comment il a relégué des mollusques et des articulés parmi les zoophytes, sans se douter de ce qu’il y avait d’erroné dans ce rapprochement.

Il n’en est plus de même dans les groupes appartenant au type primordial des invertébrés. Mollusques, articulés, rayonnés, ces trois embranchemens présentent dans chacune de leurs classes des différences fondamentales, des caractères parfois opposés. Au sommet de chacune de ces séries, nous trouvons des animaux chez qui la division du travail est portée aussi loin peut-être que chez les vertébrés eux-mêmes. Puis, à mesure que nous nous éloignons de ces points culminans, les fonctions se restreignent ou se confondent, les appareils se simplifient, l’organisme tout entier se dégrade, et, sur les limites extrêmes, nous voyons apparaître une multitude d’êtres ambigus dont rien n’est plus embarrassant que de déterminer les véritables rapports. On dirait que la nature se pose ici à elle-même les problèmes les plus insolubles en apparence, pour se donner le plaisir de jouer avec les difficultés, tantôt les surmontant de front, tantôt les éludant par les détours les plus inattendus, par les combinaisons les plus merveilleuses. Chaque type, restant le même au fond, s’incarne pour ainsi dire dans