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SITUATION DES PARTIS.

mettre au jugement du pays. Bien que partiellement faussé par de déplorables manœuvres, ce jugement fut tel que la retraite du ministère paraissait inévitable, quand un affreux malheur vint soudainement frapper la France, et confondre dans un sentiment commun tous les hommes dévoués au gouvernement de juillet. La question ministérielle disparut aussitôt devant la question dynastique, et l’opposition constitutionnelle tout entière consentit à ajourner ses justes griefs jusqu’au jour où la loi aurait, autant que possible, comblé le vide qui s’était fait auprès du trône et assuré l’avenir. C’était une noble, une bonne résolution, et qui devait porter ses fruits. Malheureusement, au dernier moment, une dissidence imprévue éclata entre la gauche et le centre gauche, non sur la personne ou les pouvoirs du régent futur, mais sur la manière dont la régence devait être constituée. Plus malheureusement encore, cette dissidence fut commentée, exploitée, envenimée, de telle sorte qu’entre les deux partis qui font la force de l’opposition, la bonne harmonie cessa d’être aussi complète. C’est dans cette situation que s’ouvrit la dernière session et que le ministère dut pour la première fois expliquer sa politique devant la chambre nouvelle et la faire approuver.

Voici, je crois, quelle était, à cette époque, la statistique réelle de la chambre. Las de soutenir une politique qui n’était pas la leur, M. Dufaure, M. Passy et leurs amis avaient définitivement rompu avec le ministère et passé dans les rangs de l’opposition. En joignant leurs votes à ceux des diverses oppositions, on arrivait à 220 voix mais il n’en faut pas conclure que les 239 voix qui restaient appartinssent au ministère. Sur ces 239 voix, le ministère n’en pouvait revendiquer que 200 à peu près. Il y avait donc entre le parti ministériel et l’opposition trente à quarante députés peu bienveillans pour le ministère, peu disposés à l’appuyer, mais qui n’étaient pas encore décidés à le renverser. Je ne crois pas me tromper en affirmant que, si les deux fractions principales de l’opposition eussent été unies alors comme l’année précédente, la plupart de ces députés flottans se seraient joints à elle et auraient donné force au jugement du pays. Pourtant, il faut en convenir, les divisions plus apparentes que réelles de l’opposition constitutionnelle faisaient craindre son triomphe, et le silence des uns, comme les discours des autres, pouvaient inspirer sur les difficultés du lendemain, d’assez légitimes inquiétudes. Le jour où la question de cabinet se posa sur les fonds secrets, le ministère, à sa grande surprise, eut donc 45 voix de majorité.

On pourrait, en décomposant cette majorité, retrancher encore