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SITUATION DES PARTIS.

clarté, la clarté de l’évidence, illuminât l’assemblée tout entière, et que chacun oubliât les intérêts passagers de son parti pour ne plus songer qu’aux intérêts permanens du pays. Jamais, on peut le dire, démonstration n’avait été plus complète et plus saisissante. Et ce n’est pas seulement en France qu’on l’a jugée telle : partout où se lisent les journaux français, en Angleterre même, il n’y a eu qu’une voix et qu’un cri.

« L’entente cordiale n’existe nulle part, avait dit M. Billault. » — « Vous avez travaillé à rompre l’alliance anglaise quand elle était possible et profitable, avait dit M. Thiers ; vous voulez la rétablir quand elle est à peu près impossible, et qu’elle ne peut plus servir à grand’chose. » À cette double accusation comment M. Guizot a-t-il répondu ? M. Guizot, il faut le dire, n’a pas répondu du tout, bien qu’il eût pris, la première fois, vingt-quatre heures de réflexion, et que la seconde il arrivât fort préparé. Pas un des faits avancés par M. Billault qu’il ait contesté sérieusement ou mis en face d’autres faits ; pas un des raisonnemens de M. Thiers qu’il ait essayé de réfuter. En répondant à M. Billault, il s’est contenté d’affirmer que l’accord existait entre les deux gouvernemens, et que cet accord avait déjà produit de grands résultats, entre autres l’ouverture de la Chine à la civilisation occidentale. Puis, dans une péroraison que les diplomates européens ont dû lire avec quelque surprise, il a annoncé « que l’éternel honneur du cabinet de sir Robert Peel et du cabinet du 29 octobre serait d’avoir inventé et inauguré la politique de la vraie paix, de celle qui est au fond des cœurs comme au fond des canons. » En répondant à M. Thiers, il est tout simplement revenu, après M. Duchâtel, à la guerre de 1840 et à la plaisanterie aussi ingénieuse que neuve de la guerre au printemps. Puis il s’est perdu dans quelques détails si insignifians, dans quelques explications si embarrassées, que toute réplique est devenue inutile. En parlant politique simplement et froidement, M. Thiers avait enlevé au ministère sa ressource ordinaire, celle de faire appel aux passions de la majorité, et d’évoquer avec succès la fantasmagorie de 1840. Or, quand cette ressource lui manque, le ministère n’a plus rien à dire.

Pour la première fois depuis trois ans, M. Guizot sortait donc du débat avec une infériorité marquée et un échec constaté. Est-ce à dire que M. Guizot ne soit plus ce qu’il était l’an dernier, un orateur de premier ordre et un tacticien consommé ? Non certes ; mais, comme d’autres exemples l’ont prouvé, il est des causes si mauvaises, des situations si fausses, que les plus grands talens y succombent. Dans