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sa durée. Retranchez ces combats, supprimez cette inquiétude, et il n’est plus un pays où la voix de la France puisse se faire écouter.

Je le répète donc, au dedans, au dehors, il y a des questions, beaucoup de questions, au moyen desquelles il serait facile d’opérer entre l’opposition et la portion libérale des centres un sincère rapprochement. Mais, si la difficulté n’est pas dans les choses, elle est, j’en conviens, dans les personnes ; elle est dans les passions, dans les antipathies, qui, habilement exploitées, tendent à perpétuer, au détriment du pays, les divisions actuelles. La gauche en général paraît fort disposée à reconnaître qu’il y a dans le centre des hommes vraiment indépendans, vraiment libéraux, vraiment patriotes. Par malheur, le centre se presse peu de rendre à la gauche la même justice. Il reste donc établi au centre que quiconque s’assied à gauche a vers le désordre une tendance fatale, et se déclare par là même impropre au gouvernement. Rien n’est plus faux : si dans les rangs de la gauche il se trouve quelques-uns de ces hommes qu’en Angleterre on appelle « les impraticables, » c’est sans contredit la très petite minorité. La très grande majorité au contraire est tout autant que le centre amie de l’ordre, et sincèrement dévouée aux institutions et à la dynastie. La vraie différence, M. Thiers l’a dit, c’est que le centre penche plus vers la conservation, la gauche vers le progrès. Les hommes modérés du centre ne veulent pourtant pas tout conserver, ni les hommes modérés de la gauche tout réformer. C’est ce dont on s’apercevrait promptement, si les préventions réciproques pouvaient être écartées et qu’on se mit franchement à l’œuvre.

Il y a d’ailleurs une considération décisive, c’est que, dans l’état actuel des choses, le centre à lui seul est hors d’état de former une majorité forte, efficace, parlementaire. En voici, je crois, la principale raison. Une portion du centre a sur les limites réciproques de la prérogative royale et de la prérogative parlementaire des opinions qui, si elles pouvaient prévaloir, ôteraient bientôt au gouvernement représentatif toute puissance et toute vérité. Il suit de là que le centre est un excellent point d’appui contre le désordre et les idées follement démocratiques, mais un mauvais point d’appui contre les idées ultra-monarchiques et l’absorption de tous les pouvoirs dans un seul. Il suit de là encore qu’un ministère soutenu exclusivement par le centre peut gouverner tant que sa volonté et celle de la couronne sont d’accord, mais pas un jour au-delà. Le centre en un mot, pris dans sa totalité, n’est pas, comme le parti conservateur en Angleterre, un parti qui obéit toujours à sa propre impulsion, qui ne réalise que ses pro-