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LA POÉSIE SYMBOLIQUE ET SOCIALISTE.

des copies pour les dresser avec leurs hiéroglyphes devant tous nos monumens et nos palais.

Les mythes et les symboles appartiennent à l’enfance des sociétés ; les civilisations avancées ont d’autres besoins, et il faut leur parler un autre langage. La pensée ne se cache plus au fond d’un sanctuaire, elle court le monde, et, si elle a encore un lieu de naissance, elle n’a plus de domicile, elle est partout au même moment. Grace à la presse, à ce missionnaire infatigable et gigantesque qui est sur tous les points à la fois, il y a communication instantanée d’idées, de sentimens et de passions entre tous les citoyens d’un même pays. On peut dire que le forum antique, immensément agrandi, n’a plus pour limites que les frontières du royaume. Une civilisation qui vit au milieu d’une telle publicité doit accueillir avec un médiocre empressement ce qui se présente sous la forme symbolique ; et si on se plaît à cacher sa pensée sous des voiles, il est vraisemblable qu’on ne viendra pas l’y découvrir. On dira que le poète n’écrit pas pour tout le monde : non, sans doute ; mais il s’adresse à tous les esprits d’élite, à toutes les belles ames, ce qui constitue un auditoire assez nombreux. Le poète moderne, qu’on ne s’y trompe point, n’est pas un prêtre d’Isis parlant, au fond d’un sanctuaire, à quelques initiés, auxquels il ne laisse entrevoir qu’une partie de ses mystérieuses croyances ; c’est un citoyen armé d’une lyre qui se doit à toutes les intelligences qui peuvent le comprendre, à tous les cœurs qu’il peut émouvoir. — Mon Dieu ! je n’ignore pas qu’il y a toujours, et surtout aujourd’hui, contre le mouvement des idées et des faits, des protestations solitaires, et qu’à côté de l’église universelle de la civilisation il existe toute sorte de petites églises avec leurs mystères, où des esprits superbes et puérils jouent au grand prêtre, et, recouvrant d’une broderie parfois assez riche des lambeaux usés de systèmes philosophiques qu’ils empruntent à l’Inde et à la Grèce, donnent emphatiquement ces vieilleries pour une religion nouvelle. À vouloir se mettre au service d’une de ces sectes obscures, un poète peut chanter, s’il le veut, sur le mode symbolique : il sera compris d’une douzaine d’adeptes, compris et admiré sans réserve, à charge de revanche ; on fera fumer autour de lui un encens qu’on espère trouver le lendemain dans son encensoir. Les intelligences supérieures de la secte, s’il y en a, ne dédaigneront pas de prodiguer des éloges à des chants qu’elles croient avoir inspirés, de telle sorte que cette admiration envers autrui n’est que la vanité qui se rend hommage à elle-même. Quand c’est un esprit vulgaire, qui se laisse prendre dans ces filets, cela importe peu ; ce qui est plus triste,