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comprit comme un initié, ou comme un ancien. Son idylle est née au pied de l’Hybla.

M. de Laprade a le sentiment profond de la nature, et, s’il l’eût dirigé avec prudence, il eût pu, dans ce genre, conquérir une belle place, quoique assez loin encore d’André Chénier ; mais, entraîné par la passion du symbolisme, il a du premier coup mille fois dépassé les Grecs, et, pour vouloir trop comprendre et trop sentir, il sort du vraisemblable et du possible. Dans son enthousiasme irréfléchi, il arrive à une sorte d’illuminisme où il embrasse les arbres et s’écrie en s’adressant à un chêne :

Pour ta sérénité je t’aime entre nos frères.

C’est pousser un peu loin la fraternité. Toutefois ce n’est qu’appliquer le système de la communion indéfinie avec l’univers. Sous l’empire de pareilles utopies, il n’est pas étonnant que l’imagination se trouble, et que la nature devienne la forêt enchantée du Tasse où chaque arbre contient une apparition.

Le poème d’Hermia est plus calme, quoique la même doctrine soit au fond. Hermia est une personnification comme Psyché. Je suppose que le poète a songé à la nature, mais je me garde de l’affirmer ; le lecteur en jugera. — Hermia est née d’un rayon du soleil de mai : Éloa était bien née d’une larme. Enfant, tout lui sourit ; les oiseaux lui parlent, les plantes s’inclinent à son approche. À peine jeune fille, elle fuit sa chaumière dès l’aurore, et va se cacher dans les bois où elle s’assimile l’esprit des choses. Jamais on ne vit de beauté plus ravissante que la sienne, et tous les pâtres d’alentour épris veulent lui offrir leur cœur et leur main : ils n’obtiennent ni un encouragement ni un sourire. Cependant elle a remarqué un jeune homme plus silencieux que les autres, et à celui-là elle permet de partager chastement sa solitude. Quel divin tête-à-tête ! Hermia, qui a pénétré tous les mystères, déroule aux yeux de son amant ébloui ses sublimes découvertes, que le poète devrait bien nous faire connaître une bonne fois, car il en parle toujours sans les expliquer jamais. Elle sait tout, et de plus elle a tout senti, et cela à seize ans, ayant toujours vécu seule, et n’ayant jamais quitté les forêts. — Le temps passe vite quand on est ensemble et qu’on s’aime, et nos jeunes gens goûtent un pur et céleste bonheur dans la solitude, à peu près comme Laurence et Jocelyn. Mais un jour vient où la sagesse de l’amant est en défaut ; la solitude, quoi qu’en dise le poète, est mauvaise conseillère ; l’amant