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cet enthousiasme exagéré qui se répand sur les moindres objets de la nature, qui donne une pensée à ce qui n’en a pas, prétend échanger de l’amour avec la brise, la vallée, les parfums des fleurs, s’entoure de fantômes qu’il croit vivans, et, comme Ixion, n’embrasse que des nuées.

De temps à autre, après avoir chanté l’Alma parens et Cybèle, et s’être livré trop long-temps à des aspirations sans objet, M. de Laprade semble se prendre à un sujet véritable qui lui fournira le développement d’une pensée, et jette en avant le nom harmonieux et inspirateur de Sunium. Certes, c’est une occasion pour sortir du vague, pour répéter et agrandir le Phédon, formuler une croyance ; le lecteur attend en vain que le jour se fasse : les vers élégans et sonores arrivent en foule, la pensée reste en chemin.

Sunium ! Sunium ! ô sacré promontoire
Que la mer de Myrto baigne amoureusement,
Ta cime a vu trôner le sage dans sa gloire !
Il a mêlé sa voix ton gémissement !

Il venait là s’asseoir sur la roche dorée,
Le poète ! il parlait avec un front riant :
Parfois, comme pour lire une page inspirée,
Il s’arrêtait, les yeux plongés dans l’Orient.

Ses disciples, drapés de leurs manteaux de laine,
Dans les myrtes en fleurs se groupant au hasard,
Recevaient en leurs cœurs, muets et sans haleine,
Le baume qui coulait des lèvres du vieillard.

Ces vers sont d’une belle forme ; mais si le vase est élégamment sculpté, il est vide. Je vois un poète qui parlait avec un front riant : que disait-il ? Je vois des disciples qui recevaient dans leurs cœurs muets le baume d’une sainte doctrine : quel était ce baume ? M. de Laprade ne songe pas à nous l’apprendre : son lecteur est condamné à rester dans des régions crépusculaires, au moment où sa muse parle de divines clartés. Si, au milieu de ces imperfections, on ne désespère pas de l’avenir poétique de M. de Laprade, c’est qu’il est jeune et qu’il a souvent le sentiment du beau, qui est la conscience de l’artiste.

Quand on s’égare en littérature, il y a toujours un moyen de se