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imagination ardente, par une activité prodigieuse, par une force indomptable de volonté, dans les provinces même de l’Espagne où ce sont là précisément les traits caractéristiques du génie national. Aux momens décisifs d’une expédition ou d’une crise politique, il a toujours fait preuve d’une énergie et d’une habileté incontestables ; personne mieux que lui ne s’entend à relever une situation dont on désespère ; il multiplie les expédiens, il crée les ressources ; hommes et choses, il faut que sous son impulsion tout se rapporte au but qu’il veut atteindre et qu’en effet il atteint. Mais ces qualités, qui dans les occasions extraordinaires lui assignent une réelle supériorité, se convertissent en autant de défauts quand il s’agit d’étudier le terrain, de composer avec les difficultés, de tourner les obstacles, au lieu de les briser en s’y heurtant de front. Narvaez est un homme d’action ; ce n’est point un homme de gouvernement, et encore moins un homme de tribune. Affable et prévenant dans l’intimité, à la tête de l’armée il s’est toujours montré d’une sévérité inflexible ; il n’en est pas moins, parmi les chefs actuels, celui pour qui le soldat professe le plus sérieux attachement. Cela s’explique par la sollicitude que de tout temps il a témoignée en faveur de quiconque a servi sous ses ordres. C’est à ses yeux un titre imprescriptible que d’avoir marché sous sa bannière ; il en résulte une étroite solidarité qui pour lui s’étend de l’officier-général au dernier pecetero. Dans un pays où l’armée a jusqu’ici fait et défait les gouvernemens, on conçoit de quelle irrésistible autorité se trouve investi l’homme qui a le cœur de l’armée.

Après la journée de Los Ardoz, où il porta le coup de grace à la cause espartériste, Narvaez était sans contredit maître de la situation en Espagne. Par lui-même ou par ses lieutenans, il n’est rien dont il ne fût aisément venu à bout. Mais l’œuvre de l’épée était faite ; Narvaez ne pouvait pas songer, il ne songea pas à se charger de celle qu’il fallait désormais entreprendre : nous voulons dire la réorganisation politique du pays. Narvaez entra chaleureusement et avec toute la fougue de son caractère dans les vues de ceux qui faisaient des efforts sincères pour maintenir la coalition, victorieuse et tout enivrée encore de son triomphe ; chacun parlait à Madrid de conciliation, de fusion entre les partis extrêmes ; c’était l’entraînement du jour, auquel plus que tout autre s’abandonnait le général Narvaez. Il appuya M. Lopez et son ministère ; il alla jusqu’à solliciter M. Cortina de prendre une part plus active au gouvernement. Mécontent déjà de l’aspect sous lequel se présentait l’avenir, et surtout de l’influence prépondérante que donnaient aux modérés les élections générales, le chef du parti progressiste repoussa les avances de M. Narvaez, qui en conçut un éloignement invincible pour le ministère Lopez, avec lequel il cessa toute relation. Dès ce moment, il n’intervint plus dans les affaires publiques qu’à l’époque où se reconstituèrent les autorités de Madrid. Quand M. Olozaga fut rentré en Espagne, Narvaez n’attendit pas que le fier ambassadeur lui fit la première visite ; il s’empressa de lui offrir son appui et lui déclara nettement qu’il soutiendrait tout cabinet qui se sentirait capable de rétablir l’ordre, de raffermir les institutions chan-