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et à approvisionner. Il s’alimenterait de la mer Rouge elle-même, dont, à marée haute, les eaux seraient recueillies dans les Lacs Amers, convertis en réservoirs. L’entretien et le curage exigeraient des soins ; mais on y subviendrait sans une peine extraordinaire. Le plus grand embarras serait de trouver un bon port pour déboucher dans la Méditerranée. En cela, le problème est infiniment plus difficile que du temps des anciens, non-seulement parce que les navires modernes tirent plus d’eau que ceux des Phéniciens, des Grecs et des Romains, ou que les galères du moyen-âge, mais surtout parce que la côte s’atterrit sans cesse à l’est du Nil par l’effet des sables que charrient les courans, et par les troubles du fleuve lui-même qui viennent s’y déposer.

Le canal de l’isthme de Suez n’est pas seulement un projet ; il a existé. L’histoire le dit, et les voyageurs en reconnaissent facilement les vestiges. Strabon semble l’attribuer au grand Sésostris ; Hérodote et Diodore de Sicile en font honneur à Néchos, fils de Psammetique. Darius, roi de Perse, le fit continuer, et il paraît l’avoir achevé, quoiqu’on en ait revendiqué le mérite pour le deuxième des Ptolémées qui probablement se borna à le restaurer. Mais il ne coupait pas l’isthme précisément et ne mettait pas Suez en communication avec Péluse, soit que les rois d’Égypte redoutassent l’encombrement du canal par les sables mobiles qu’on rencontre dans le désert, soit qu’ils ne voulussent pas déboucher dans la Méditerranée, qualifiée chez eux de mer orageuse, soit par suite de la politique d’isolement qu’ils avaient adoptée vis-à-vis des autres peuples, soit enfin qu’un canal de Suez à Péluse leur parût une communication extra-égyptienne, et en effet elle se fût développée en dehors de l’Égypte proprement dite, et n’eût été d’aucun service aux populations de la vallée du Nil. Le Canal des Rois, c’était son nom, unissait Suez à la branche pélusiaque du Nil, presque comblée aujourd’hui ; le point de jonction était à Bubaste, à une certaine distance au-dessous de l’emplacement actuel du Caire. Il avait de grandes dimensions. Sa largeur était de 33 à 50 mètres ; sa profondeur d’au moins 5 mètres ; Pline dit le double. Il s’alimentait du Nil, qui, pendant les crues, est plus élevé non-seulement que la mer Rouge, mais que tout le pays adjacent. De Bubaste sur la branche pélusiaque, il s’étendait droit à l’est dans une grande vallée qu’on appelle l’Ouady, se détournait ensuite vers le midi pour rejoindre une grande dépression occupée par les Lacs Amers, d’où par une coupure de 22,000 mètres on gagnait le port de Suez. Sa longueur totale était d’environ 165 kilomètres.