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Los Ardoz, on pouvait craindre, et l’on craignait en effet, que l’armée n’engageât la lutte à sa manière et ne remportât une de ces victoires qui perdent un gouvernement en lui donnant tort aux yeux du pays tout entier. La nuit s’écoulait avec une rapidité effrayante ; jamais, dans le palais de Charles III, on n’avait eu à se débattre contre une crise plus douloureuse. Tous les conseillers, tous les champions, anciens et nouveaux, qui, le 29 et le 30 novembre, s’étaient en si grand nombre présentés au palais, avaient pour ainsi dire pris la fuite, à l’exception de Narvaez et de M. Gonzalès-Bravo. « Il faut en finir, dit le général, voyant que de toutes parts la terreur éclatait sans contrainte. Il faut que l’un de nous se charge de porter la déclaration au congrès. — Ce sera moi, dit M. Gonzalès-Bravo en s’emparant de l’acte officiel. » Un de ses amis, envisageant avec plus de sang-froid le péril immense qu’il se proposait d’affronter, essaya vainement de combattre une résolution si désespérée. « Ce sera moi, s’écria de nouveau le jeune député progressiste ; ce matin, je me perds ou j’arrive à tout ! » Quelques heures après, M. Gonzalès-Bravo était au congrès, la déclaration royale à la main.

Si nous avons réussi à dévoiler cette crise jusque dans ses agitations les plus secrètes, on aura vu que, pour se maintenir aux affaires, M. Olozaga ne pouvait se dispenser de dissoudre les chambres ; on aura vu aussi qu’il ne pouvait obtenir le décret de dissolution des cortès qu’à la condition, et malheureusement, c’est ici le mot propre, à la condition de forcer la main à la reine. D’un autre côté, on ne sera plus étonné sans doute que le cabinet actuel ne soit pas composé des notabilités du parti aujourd’hui triomphant ; nous avons montré comment, à la fin de novembre, les principaux défenseurs de l’opinion modérée ont successivement décliné l’honneur de former le ministère. M. Bravo lui-même ne parvint à constituer son cabinet que le 8 décembre ; M. Olozaga n’avait point disparu du congrès ; dans l’accusé, le tribun se faisait redouter encore. Jamais peut-être, en un moment extrême, on n’avait vu des chefs de parti s’effacer ainsi derrière des hommes nouveau-venus dans leurs rangs, et dépourvus de l’autorité nécessaire pour prévenir l’explosion des mécontentemens. Dès l’instant où la coalition de juin se trouvait rompue et sans espoir de retour, c’était le premier devoir des Mon, des Martinez de la Rosa, des Isturitz, envers le pays et la reine, d’accepter un pouvoir qu’allaient éprouver les sourdes conspirations et les attaques violentes. Ce n’était pas trop de tout leur talent et de toute leur expérience pour tenir en échec le vieux parti exalté et accomplir les réformes dont M. Gonzalès-Bravo a publié le programme immédiatement après avoir promulgué la loi des ayuntamientos.

Le cabinet Gonzalès-Bravo a débuté par une faute, l’ajournement indéfini des cortès. Cette mesure a fourni un prétexte aux mécontens de l’Espagne méridionale, et il est impossible de s’en rendre compte quand on examine de près la situation des partis dans le pays et dans le congrès. Les hommes qui jusqu’à ce jour ont pris part aux affaires de la Péninsule pour-