Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/726

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
722
REVUE DES DEUX MONDES.

pour apprécier les chances d’avenir et de solidité d’un établissement politique.

Ce serait sans contredit un livre d’un grand intérêt que celui qui nous présenterait sous cet aspect l’histoire de l’Angleterre au XVIIIe siècle ; mais, je le répète, cette histoire, qui, même chez les Anglais, n’existe guère encore d’une manière un peu satisfaisante qu’à l’état de mémoires et de biographies, n’a pas été seulement essayée parmi nous. Sans avoir la prétention de combler la lacune que je viens de signaler, je me propose, dans le travail auquel les réflexions qui précèdent serviront d’introduction, de raconter la vie publique d’un homme qui remplit, pour ainsi dire, toute cette époque, qui résume tout ce que la politique de l’Angleterre eut d’énergique et de puissant pendant une moitié du XVIIIe siècle, et dont la carrière variée offre successivement le curieux tableau des grandeurs et des imperfections les plus extrêmes par lesquelles puisse passer un gouvernement libre, s’agitant, au sortir d’une révolution, pour trouver enfin son assiette définitive : je veux parler de l’illustre lord Chatham.

I.

William Pitt n’appartenait pas, par sa naissance, à cette haute aristocratie qui a été si long-temps en possession exclusive du gouvernement de la Grande-Bretagne. On a donc pu, avec quelque raison, l’appeler un homme nouveau ; cependant, si l’on voulait attacher à ce mot le sens absolu dans lequel on le prend aujourd’hui, celui d’un homme partant des basses régions de l’état social pour s’élever au sommet, il cesserait de lui être applicable. William Pitt était issu, en effet, d’une ancienne famille que son grand-père, gouverneur de Madras, avait élevée encore en l’enrichissant. La fille de ce gouverneur, tante, par conséquent, du futur ministre, avait épousé le comte Stanhope, un des personnages les plus considérables de l’époque de la reine Anne et de George Ier. — Le jeune Pitt, né le 15 novembre 1708, fit ses études au collége d’Eton et à l’université d’Oxford. Une maladie qui devait plus tard exercer sur lui de cruels ravages, la goutte, l’obligea à quitter l’université avant d’avoir pris ses degrés. Il voyagea pour sa santé en France et en Italie. À son retour en Angleterre, il entra comme cornette dans un régiment de cavalerie. Quelque minimes que fussent cette position et les avantages pécuniaires qui y étaient attachés, ils n’étaient pas à dédaigner pour un cadet de famille dont le