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ESSAIS D’HISTOIRE PARLEMENTAIRE.

l’effet : son geste, son action, son débit, soigneusement étudiés, l’ensemble même de son costume, avaient une dignité grave qui, s’étendant peu à peu à ses habitudes sociales, à son langage, aux formes de sa correspondance, devint pour lui comme une seconde nature et imprima à toute sa personne un caractère en quelque sorte officiel dont la familiarité ne pouvait approcher. La grandeur de la pensée, la force de l’imagination, répondaient en lui à cet appareil imposant. Il abondait en grands mouvemens, en inspirations brillantes. Par des saillies soudaines et inattendues, il savait faire jaillir de l’incident le plus insignifiant des effets entraînans et vraiment irrésistibles. Il possédait une puissance d’invective sans exemple peut-être chez les modernes. Son élocution, vive, énergique, colorée, avait un éclat, une richesse, une facilité, dus en grande partie à l’étude approfondie de ces classiques qui seront toujours une des sources de la haute éloquence. On doit facilement comprendre qu’avec cette merveilleuse organisation, si admirablement perfectionnée par l’étude et le travail, il n’ait pas tardé à dominer le parlement. Ses contemporains, subjugués, éblouis, ne conservaient pas le sang-froid nécessaire pour s’apercevoir de ce qui manquait bien souvent à ces magnifiques harangues, une argumentation logique, des faits précis, en un mot les ressources de la véritable et complète dialectique.

Pour qu’on pût apprécier à sa juste valeur le redoutable champion qui venait de s’élever contre l’administration de Walpole, il fallait qu’un débat vraiment important fournît à son génie l’occasion de se développer tout entier. C’est ce qui arriva bientôt. La question de la paix ou de la guerre surgit tout à coup après vingt-cinq années d’un repos profond, à peine interrompu par quelques insignifiantes hostilités. Le maintien de la paix avait été l’objet constant et presque exclusif de la politique de Walpole. Outre les calculs et les goûts personnels qui pouvaient l’y porter, il avait incontestablement de très fortes raisons pour en faire le but de tous ses efforts. La Grande-Bretagne, renfermant dans son sein un parti encore nombreux dévoué à la cause du prétendant, n’était pas seulement exposée, en cas de guerre avec une puissance étrangère, aux chances ordinaires d’une pareille lutte ; elle avait encore à craindre des soulèvemens intérieurs qui, se combinant avec les agressions des ennemis du dehors, pouvaient mettre en danger le gouvernement établi. C’était là évidemment son côté faible. L’expérience du passé ne permettait guère de douter que tout état étranger engagé contre elle dans une guerre sérieuse ne recourût tôt ou tard à cette arme terrible. C’était en grande partie