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du roi, on doit concevoir qu’il n’épargnait pas davantage le ministre influent, ce lord Carteret dans lequel il ne pouvait voir qu’un renégat. Rien n’égale la virulence outrageante des apostrophes qu’il lui jetait en toute occasion. Tantôt il l’appelait un exécrable ministre, qui semblait s’être enivré de cette potion dont l’effet, au dire des poètes, était d’effacer de l’esprit des hommes le souvenir de leur patrie ; tantôt il le désignait comme le ministre hanovrien, comme l’instrument pervers des plus honteux desseins. Il lui reprochait de n’avoir d’autre appui, d’autres partisans, que les seize mille Allemands enrôlés par lui au service de l’Angleterre. Personne n’eût pu prévoir alors que, quelques années après, Pitt consentirait à siéger dans le conseil à côté de l’homme qu’il traitait comme un vil scélérat, et que plus tard, lorsque la marche du temps, sans calmer ses passions ardentes, les aurait tournées contre d’autres adversaires, lorsque lord Carteret aurait cessé de vivre, il lui rendrait devant la chambre des pairs ce magnifique hommage : « Ses talens faisaient honneur à cette chambre et à l’humanité. Dans les départemens supérieurs de l’administration, il n’avait pas d’égal, et je m’enorgueillis de déclarer que c’est à son amitié, à ses leçons, que je dois tout ce que je suis. »

Pitt, par la véhémence de son opposition, devenait de plus en plus cher au parti dont il flattait les ressentimens. Il en reçut alors un témoignage singulier. L’héroïne des whigs, la célèbre duchesse de Marlborough, lui légua en mourant une somme de dix mille livres sterling, en récompense de ses efforts pour la défense des lois et de la liberté du pays. Dénué comme il l’était de fortune personnelle, il trouva dans ce legs l’avantage précieux d’une honorable indépendance. Vingt ans après, lorsqu’il avait déjà atteint l’apogée de sa réputation, un autre testament lui prouva d’une manière plus significative encore l’admiration qu’il inspirait. Sir William Pyment, homme d’un caractère bizarre et d’opinions ardentes, lui laissa toute sa fortune, consistant en deux mille livres sterling de revenu, sans compter un capital de trente mille livres. Ces deux legs ne sont pas les seuls qu’il ait dus à l’esprit de parti : circonstance unique peut-être dans l’histoire des temps modernes, et qui constitue un nouveau trait de ressemblance entre l’illustre orateur anglais et les grands hommes de l’antiquité, que leurs nombreux admirateurs s’honoraient d’inscrire dans leurs testamens.

Cependant le ministère dans lequel lord Carteret jouait un rôle si considérable avait déjà éprouvé une modification importante. Le premier lord de la trésorerie, lord Wilmington, était mort, et le roi lui