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pondre à la courtoisie empressée du duc de Choiseul et de son agent, font mieux ressortir encore ce qu’il a de dur et d’hostile dans la substance de ces communications.

Cependant la France, quelque abattue qu’elle fût, était d’autant moins disposée à accepter la paix, telle qu’on voulait la lui imposer, qu’en ce moment même elle avait toute espérance d’obtenir, pour continuer la guerre, les secours de l’Espagne. Ferdinand VI, dont les tendances politiques étaient telles que Pitt avait cru pouvoir lui faire proposer de s’unir à l’Angleterre contre le chef de sa maison, était mort depuis deux ans. Son successeur, Charles III, plus sensible aux affections de famille, ne pouvait voir sans douleur l’abaissement d’un pays gouverné par un Bourbon ; personnellement hostile au cabinet de Londres, il s’effrayait d’ailleurs des immenses progrès de la puissance navale de la Grande-Bretagne. Une négociation était secrètement engagée entre les cours de Versailles et de Madrid pour la conclusion du fameux pacte de famille. Pitt, qui en avait déjà quelques soupçons, cessa d’en douter lorsque l’agent du duc de Choiseul lui eut remis un mémoire par lequel la France s’interposait pour faire régler en même temps que ses propres intérêts, quelques différends alors pendans entre l’Espagne et l’Angleterre. Une pareille innervation dans la situation respective des trois cours, avait certainement quelque chose d’étrange et de provoquant. Pitt s’en montra vivement blessé, et cet incident ne contribua pas peu à hâter la fin des pourparlers. L’ultimatum de la France ayant été rejeté, les négociateurs que les deux gouvernemens s’étaient réciproquement envoyés furent rappelés.

Tout espoir de paix était donc perdu pour le moment. L’ardente activité de Pitt semblait s’en accroître, mais il allait s’apercevoir qu’il n’était plus le maître du conseil. Déjà ce n’était qu’à une très faible majorité qu’il était parvenu à y faire rejeter les propositions de la France. Cette majorité ne tarda pas à lui échapper. Supposant, d’après certaines données, que les Français préparaient une attaque contre Terre-Neuve, il voulut y envoyer quatre vaisseaux de ligne, qui eussent rendu cette attaque impossible. Les autres ministres s’y opposèrent, et il dut renoncer à son projet. L’évènement lui donna bientôt raison : Terre-Neuve tomba pour un moment au pouvoir de la France. Mais Pitt, qui depuis la rupture des négociations regardait une guerre avec l’Espagne comme imminente, s’était mis en mesure de ne pas être pris au dépourvu. Une expédition se préparait par son ordre contre la Martinique et le peu d’établissemens que la France