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hostilités de Pitt et de ses amis, qui portaient à George Grenville toute la haine qu’on porte à un transfuge, se trouva dès l’abord dans cette pénible situation, que, sans posséder la confiance du roi, il fut considéré par le public comme un instrument de la cour, comme l’organe complaisant de lord Bute, plus puissant, disait-on, dans sa retraite apparente qu’il ne l’avait jamais été dans ses fonctions ministérielles. On affirmait, et les hommes les plus éclairés le croyaient alors que, d’accord avec la princesse douairière de Galles, il dirigeait secrètement, dans une pensée contraire à toute liberté, les résolutions du roi et de ses conseillers officiels. Vainement lord Bute et le roi lui-même protestaient-ils, en toute occasion, contre ces assertions tant répétées ; vainement, pour éviter d’y donner lieu, cessèrent-ils bientôt de se voir. La croyance à cette influence mystérieuse résista à toutes les dénégations ; elle survécut au ministère de George Grenville, et pesa successivement pendant bien des années sur tous ceux qui lui succédèrent, alors même qu’ils étaient composés des hommes les plus ouvertement hostiles à cette influence prétendue, de patriotes qui, après s’être évertués à la combattre, après avoir contribué plus que personne à propager la conviction de son existence, étaient tout surpris de se voir, à leur tour, accusés de la subir.

Deux tristes souvenirs sont restés attachés à l’administration de George Grenville. C’est en cédant, malgré lui, à la malheureuse idée qu’avait conçue le roi de soumettre les colonies américaines à l’impôt du timbre sans le consentement de leurs chambres législatives, qu’il amena ces premiers troubles d’où devait sortir, dix ans plus tard, leur insurrection et leur indépendance ; c’est en dirigeant contre un odieux libelliste, le trop fameux Wilkes, des poursuites maladroites et peut-être illégales, qu’il livra pour plusieurs années Londres et la Grande-Bretagne à une effervescence démagogique inconnue depuis long-temps dans ce pays. Le grand tort du gouvernement dans cette déplorable affaire, c’était d’avoir, en quelque sorte, lié la cause de Wilkes à celle de certains principes de droit et de liberté que des hommes scrupuleux pouvaient se croire obligés de défendre, même dans la personne d’un champion aussi odieux. Lorsque la question fut portée devant le parlement, où le ministère obtint, non sans peine, une victoire vivement disputée, Pitt, à qui l’état de sa santé ne permettait pas alors de prendre part habituellement aux discussions, se fit porter à la chambre des communes pour défendre les principes ainsi compromis. En flétrissant l’irrégularité de la procédure dirigée contre Wilkes, il s’exprima d’ailleurs dans les termes de la plus vive