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peler Pitt aux affaires. Ce qui est étrange, c’est que lord Bute, qui alors ne s’était pas encore éloigné de la cour, lord Bute, que le public prenait pour le mentor et l’appui secret de George Grenville, fut l’intermédiaire de cette tentative, dernier acte incontestable de son influence. Pitt, après avoir conféré avec lui, fut admis deux fois en présence du roi. Les premières explications échangées entre le souverain et l’ancien ministre parurent d’abord promettre un prompt arrangement ; mais bientôt des difficultés s’élevèrent. Pitt, d’accord avec lord Temple et aussi avec le duc de Newcastle, dont il s’était un moment rapproché, exigeait un changement absolu de cabinet et la restauration de l’oligarchie des grandes familles whigs. Le roi se refusait à sacrifier entièrement ceux dont il avait, en dernier lieu, accepté les services, et il insistait surtout pour que George Grenville, qui avait peu de fortune, ne fût pas, en cessant d’être le chef du ministère, exclu de toutes fonctions publiques, pour qu’on lui donnât au moins l’emploi lucratif de payeur-général de l’armée. « Ce pauvre Grenville est votre parent, dit-il à Pitt avec une affectueuse bonhomie, vous l’aimiez autrefois ! » Pitt fut inflexible. On ne put s’entendre non plus sur le choix du chef titulaire du nouveau cabinet. Le roi, fatigué de cette lutte opiniâtre, mit fin à la négociation en déclarant qu’il voyait bien qu’on n’arriverait à aucun résultat, que son honneur était engagé, et qu’il ne céderait pas. Pitt, qui s’était flatté de l’espoir d’un autre dénouement, se persuada et persuada au public que c’était aux conseils de lord Bute qu’il fallait attribuer cette rupture.

Le cabinet fut donc maintenu par l’impossibilité où le roi se trouva de le remplacer, mais il est facile de concevoir que cette tentative malheureuse n’avait pas rendu plus cordiales et plus intimes les relations du prince avec ses conseillers. Ce cabinet avait pris, d’ailleurs, à l’égard du roi, surtout depuis qu’il comptait parmi ses membres le duc de Bedford, homme faible et irascible tout à la fois, une attitude qui, tôt ou tard, devait amener une collision. Hors d’état de dominer les questions vraiment majeures, celles où il eût été honorable autant qu’utile de savoir rester les maîtres, les ministres, comme pour s’en venger et se faire illusion sur leur impuissance, contrariaient avec affectation la volonté royale dans les détails secondaires et personnels, portaient même dans cette résistance des formes très peu respectueuses, se plaignaient hautement d’une influence occulte qu’ils ne pouvaient écarter, et faisaient sans cesse apparaître, comme dernier argument, la menace de leur démission.

George III, profondément irrité, se contenait pourtant. Une cir-