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ESSAIS D’HISTOIRE PARLEMENTAIRE.

Bretagne luttant pour une bonne cause suffiraient pour réduire en atômes les colonies insurgées, mais que, contre les colonies défendant une cause aussi sacrée, le succès serait douteux, et que l’Amérique dût-elle succomber, comme Samson embrassant les colonnes du temple, elle entraînerait dans sa chute l’édifice même de la constitution. Il demanda si le moment où toute la maison de Bourbon venait, par le pacte de famille, de s’unir contre la Grande-Bretagne était celui où le cabinet de Londres pouvait penser à affronter les chances d’une véritable guerre civile ? « Il faut, dit-il enfin, il faut que l’acte du timbre soit rappelé absolument, totalement, sans retard ; mais l’acte qui l’abolira doit en même temps proclamer, dans les termes les plus explicites et les moins équivoques, la souveraineté de la métropole sur ses colonies. »

Ce discours a cela de remarquable, qu’il résume en quelque sorte tous ceux que Pitt a prononcés depuis sur la question américaine. Sous un autre rapport encore, il mérite de fixer l’attention : on y trouve une allusion et même une adhésion bien formelle à ces vœux de réforme électorale qui devaient un peu plus tard se révéler avec tant d’énergie. Pitt, parlant de certains bourgs où l’élection était devenue purement nominale, n’hésita pas à dire que c’était là la partie pourrie de la constitution, qu’avant un siècle elle aurait certainement disparu, que, si elle ne tombait pas d’elle-même, il faudrait l’amputer, et que, quant à lui, il désirait l’extension à un plus grand nombre de personnes du droit précieux de se faire représenter dans le parlement.

L’impôt du timbre fut rapporté, et les colonies rentrèrent pour quelques instans dans une apparente tranquillité ; mais ni cette sage mesure, ni d’autres actes également populaires, ne purent donner au cabinet la force qui lui manquait. Sans le servir beaucoup auprès des amis de la liberté, qui, dans leur enthousiasme pour Pitt, considéraient comme autant d’intrus ceux qui détenaient le pouvoir dont il continuait à être exclu, ces actes eurent pour effet de nuire à leurs auteurs dans l’esprit de George III, si jaloux de sa prérogative. Le ministère augmenta encore ce mécontentement en négligeant de demander à la chambre des communes un surcroît de dotation en faveur des jeunes frères du roi.

La situation du pays était réellement grave. L’état incertain des colonies en inquiétant tous les esprits, paralysait l’industrie et le commerce. Un grand nombre d’ouvriers se trouvaient sans emploi, et l’extrême cherté des vivres ajoutait à leur détresse. Ce n’était pas